1.
Le ciel de Sedan était si chargé de nuages gris et noirs qu’on s’attendait à subir un fort orage d’été. L’atmosphère était lourde et imprimait un curieux silence. Seul le vent pouvait être perçu. Et les Sedanais se faisaient discrets.
C’est alors qu’au-dessus du centre-ville – plus ou moins au niveau de la place Turenne -, un tourbillon se créa dans les nuages. Le phénomène ouvrit une fenêtre vers un ciel bleu qui devint très vite métallique et rond. Rond et métallique comme une soucoupe volante !
L’engin se dessina très clairement. Il n’y avait aucun doute. Ce n’était pas une illusion : tout Sedan découvrait stupéfait un engin extraterrestre descendre au-dessus de leurs têtes et de celle de la statue de Turenne, d’un maréchal impuissant malgré le rôle protecteur qu’il semblait jouer sur cette place.
La soucoupe volante descendit jusqu’à une centaine de mètres au-dessus de la ville. Elle était immense, et tournait doucement sur elle-même dans un grésillement électrique. Sur les bords de l’engin, cinq extensions verticales, placées à égale distance les unes des autres, pouvaient être comprises comme des pieds rétractables. Dans sa partie inférieure, sur l’axe central, une large colonne sortait du disque et semblait composée de divers capteurs, d’antennes et de postes d’observation, mais aussi d’un armement inconnu.
Le ciel gris laissa ensuite place à du bleu sans nuage, mais rempli par d’autres engins spatiaux : des soucoupes volantes identiques à la première. Le ciel du territoire sedanais était envahi. Des dizaines de vaisseaux stationnaient en altitude. Allaient-ils attaquer ? Peut-être pas tout de suite, car de plus petits appareils volants vrombissaient et s’affairaient d’une soucoupe à l’autre, comme pour préparer quelque chose.
Tous les Sedanais étaient dehors ou à leur fenêtre pour regarder ce qu’il se passait, hypnotisés par le spectacle, sans avoir la force de faire quoi que ce soit d’autre. Même pas d’évaluer l’improbable, de commenter l’incroyable. Et pourtant, elles étaient là, les soucoupes volantes. On assista ensuite à l’apparition d’un immense dôme transparent au-dessus de Sedan, ayant planté sa base dans le Sedanais, et chapeautant la centaine de soucoupes volantes.
De transparente, la coupole de verre devint translucide, presque opaque, laissant pourtant passer la lumière du jour et les rayons du soleil. Sedan était complètement coupée du monde, dans une demi-sphère aveugle avec une centaine d’aéronefs non identifiés et tous les extraterrestres que ça comporte. Il y avait dès lors un extérieur inexistant et un intérieur d’un nouveau genre.
2.
En fait, une bonne partie des Ardennes autour du Sedanais, et même les voisins belges, avaient assisté stupéfaits à l’arrivée des soucoupes volantes et de la mise en place du dôme. Sedan était coupé du monde, et le monde entier maintenant savait qu’à l’intérieur de la demi-sphère des extraterrestres avaient pris possession de la ville. Que se passait-il dès lors pour les Sedanais ? Qu’allait-il advenir d’eux ? Comment les extraterrestres allaient-ils les traités ? Etaient-ils encore vivant ? Allait-on se battre dans la cité de Turenne ? Et pourquoi cette petite ville ? Que venaient chercher les extraterrestres à Sedan ? Quelles étaient leurs intentions ? Était-ce le château fort qui les intéressait ?
Le premier réflexe fut évidemment de prendre son téléphone et de contacter un proche, une connaissance, les pompiers de la rue du Petit Pont, le poste de police rue du Rivage, les gendarmes boulevard Chanzy, le bureau du maire. Rien. Personne ne décrochait. Les diverses messageries via internet ne répondaient pas non plus. Sedan était coupé du monde.
La France déclara l’état d’urgence, suivi aussitôt par la Belgique toute proche ; le reste de l’Europe fit de même par solidarité et par peur. Les autres grandes puissances du globe cherchèrent à se mêler de cette affaire en prétextant soit une aide financière, technique, militaire, pire, une quelconque expérience en la matière.
Le ministère français de l’armée et de l’espace avait envoyé ses forces tout autour de la demi-sphère, pour observer, mais aussi pour intervenir s’il le fallait. Les militaires, qui ne comprenaient pas grand-chose à la situation, scrutaient le dôme, le doigt sur la gâchette ou au-dessus d’un bouton rouge. On survolait la boule opaque en hélicoptères, en avions de chasse, avec des drones. On prépara de gros canons, des missiles. Certains dirent que l’arme nucléaire était opérationnelle.
Des scientifiques cherchèrent à analyser la paroi du dôme. Leurs efforts furent vains une fois qu’ils se rendirent compte qu’une force de nature magnétique les repoussait, les empêchait d’approcher en deçà d’une certaine distance estimée à zéro huit mètres et deux cents centimètres. On réussit cependant à placer sur cette zone magnétique des capteurs d’ondes pour essayer de percevoir quelque chose. Et grande joie des scientifiques, la demi-sphère agissait comme une gigantesque antenne : malheureusement, on ne percevait que les radios du monde terrestre, qui, toutes ensemble, produisaient un brouhaha désagréable.
Une autre armée, internationale, celle des journalistes était là. Des caméras du monde entier filmaient la demi-sphère. Les reporters ne pouvaient rien montrer d’autres qu’une demi-boule opaque. Ils s’efforçaient d’interroger de rares témoins, de poser d’interminables questions sans réponses et de raconter ce que les militaires français faisaient ou ne faisaient pas. Ils auraient bien voulu voir des mains apparaître sur la surface interne du dôme, des mains ensanglantées laissant des traces et criant à l’aide. Mais on ne vit rien.
Parfois il semblait y avoir des failles dans l’opacité de la demi-sphère et on croyait y percevoir quelque chose. Curieusement, ce qu’on voyait était un détail de Sedan grossi comme par une loupe. Cependant, ce qui avait été vu ressemblait toujours à des propos d’ivrognes. Certains étaient persuadés d’avoir vu des rhinocéros, des zèbres, des girafes et des éléphants. D’autres osèrent parler de dinosaures. L’imagination allait bon train. Mais aucune trace des Sedanais et personne n’avait pu voir les extraterrestres. Étaient-ce eux sous forme animale ? Ce bétail, étaient-ce les Sedanais transformés par cette force interstellaire ?
De petits malins – des journalistes intrépides, puis les commandos sous-marins de l’armée française – cherchèrent à pénétrer à l’intérieur du dôme par l’intermédiaire de la Meuse, car celle-ci continuait de couler. On ne sait pas ce qu’ils sont devenus. On analysa l’eau de la Meuse en aval, à la sortir de la demi-sphère : aucune trace des aventuriers. L’eau semblait plus propre qu’en amont, et n’était aucunement radioactive, ne contenait aucune particule extraterrestre.
La nuit, la demi-sphère émettait une faible lumière blanche. Un soir, elle prit diverses couleurs, plusieurs à la fois. Comme s’il y avait à l’intérieur un feu d’artifice, comme si on faisait à l’intérieur une grande fête avec des projecteurs multicolores.
Puisque la demi-sphère semblait finalement inoffensive, on venait de loin pour la voir, l’admirer comme une attraction touristique. Les militaires et les journalistes avaient du mal à contenir la foule des curieux. Ceux-ci oubliaient cependant les plus de 50 000 personnes prisonnières à l’intérieur.
Devait-on intervenir ? Les militaires et les politiques se le demandaient. Les journalistes le réclamaient car ça ferait de l’audience. Il faut dire que, depuis dix jours, plus rien ne se passait et les spectateurs du reste de la planète commençaient à se lasser.
3.
Un matin, on perçut une vibration. Enfin du nouveau ! Ça se passait à l’extrémité supérieure de la demi-sphère. Le dôme s’ouvrit à son sommet, et une colonne de soucoupes volantes s’éleva dans les airs avec une rapidité telle qu’elle ne laissa pas le temps aux spectateurs d’agir. Qu’auraient-ils pu faire d’ailleurs ?
Aussitôt, la demi-sphère s’évanouit comme une bulle de savon qui éclate. On resta bien une heure immobile à observer Sedan dans l’attente de ce qu’on ne savait pas trop quoi. Le ciel était bleu, le soleil brillait. Il faisait beau. On entendait les oiseaux chanter. La Meuse coulait comme elle avait toujours coulé, sans se préoccuper du reste.
Les premières patrouilles militaires entrèrent dans Sedan. À la grande surprise des Sedanais qui ne comprenaient pas ce que venaient faire là des véhicules armés et des soldats inquiets. Car dans Sedan, la vie quotidienne semblait suivre son cours normal. C’était un samedi matin, et il y avait du monde au marché.
Si on interrogeait les Sedanais, il n’avait jamais été question de soucoupes volantes, d’un dôme, encore moins d’extraterrestres. On remarqua cependant que les gens avaient grandi : les adultes d’au moins cinq centimètres et les enfants de dix. Ou alors étaient-ce leurs vêtements qui avaient rétréci ?
Jérôme Paul – été 2020
L’origine de ce petit texte :
Le 1ier avril 2019, Jérémy du compte Instagram Toutsedan publie sur ce média une vidéo clin d’œil (celle qui est présentée – avec son autorisation – sur ce blog). Un an plus tard, en me promenant sur Instagram, je tombe sur cette vidéo. Je poste le commentaire : « Génial ! Il faudrait en écrire l’histoire ! » Le compte Charleville_sedan_tourisme applaudit mon commentaire, et Toutsedan ajoute : « On vous prend aux mots ! » Le printemps passé, l’été venu, je me suis amusé à imaginer une histoire autour de cette vidéo.
J’encourage tout le monde à écrire de la fiction sur les Ardennes et à la publier sur internet à défaut d’autre support, et bien sûr, à faire connaître ces textes…
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