Le professeur Raoul Demeusardancourt et Mademoiselle Sidonie ont fait fonctionner leur machine à remonter le temps. Ils se trouvent comme vous pouvez le voir à Charleville, 150 ans en arrière. Le professeur a conduit Sidonie place Ducale afin qu’elle devienne témoin d’une scène en apparence anodine, mais importante dans la vie d’un certain carolopolitain. Quand tout à coup…

Le professeur et Sidonie sur la place Ducale

Sidonie : Wouah ! T’as vu le beau ténébreux qui traverse la place ?

Raoul : Mademoiselle, vous avez le coup d’œil pour déceler les personnages importants.

S : Quoi ? Ce gringalet, un personnage important ?

R : Pour l’instant, pas encore. Mais il va devenir l’un des plus grands poètes français !

S : Non, tu veux dire que c’est…

R : Oui, c’est lui.

S : C’est Arthur ! Ah beh dis donc ! Et pourquoi a-t-il l’air si pressé ?

Arthur Rimbaud

R : Pour tout vous dire, il est en train de commettre sa première fugue.

S : Épatant ! Et où va-t-il ?

R : En prison !

S : Quoi ? Non, mais tu rigoles ?

R : Pas du tout. Bon d’accord, il part pour Paris.

S : Paris, évidemment ! Ah, ça fait rêver…

R : En tout cas, ça faisait rêver le jeune Arthur qui n’en pouvait plus de la vie bourgeoise de Charleville.

S : Ah bon ?

R : Et oui !

S : Et quoi d’autre ?

Sidonie Toutenbloc

R : Bah ! Si vous y tenez vraiment… Voilà ! Comme vous le savez, notre voyage temporel nous a conduits ici, Place Ducale au 29 août 1870. Quelques jours auparavant, Arthur écrivait à Georges Izambard, son ami et ancien professeur de rhétorique : « Vous êtes heureux, vous, de ne plus habiter Charleville ! Ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province. »

S : Bah, pour un ado, c’est presque normal. Mais c’est quoi, cette histoire de prison ?

R : C’est un peu compliqué. Je vous rappelle la situation. Nous sommes en plein conflit franco-prussien. Dans à peine trois jours, la France aura perdu la guerre, Napoléon III son empire.

S : Bref, c’est le bazar !

R : C’est peu de le dire. Et les transports en commun sont complètement perturbés. Pas question de prendre un train direct pour Paris. Alors notre jeune Arthur se débrouille, plus ou moins à pied, pour rejoindre la Belgique. Et à Charleroi, il prend un train pour Paris. Mais comme il n’a plus assez d’argent pour s’offrir un titre de transport jusqu’à la capitale…

S : Il truande un peu la compagnie des chemins de fer.

R : Vous avez tout compris. Cependant, arrivé gare du Nord à Paris…

S : Contrôle… gros ennuis…

R : À tel point qu’on le conduit à la maison d’arrêt de Mazas.

S : Ah la vache ! À peine seize ans et déjà en prison !

R : Il n’y restera pas longtemps. Quelques jours. Il écrit à son ami Georges Izambard pour lui demander de le sortir de là.

S : Et Jojo s’exécute !

R : Enfin mademoiselle Sidonie, un peu de respect. Ce monsieur Izambard s’est bien occupé de notre jeune poète. Effectivement, il paie la dette de Rimbaud et l’accueille chez lui à Douai. Là, Rimbaud peut se reposer un peu, et cela en pleine tourmente de la guerre de 1870.

S : Ça fait quand même rêver, de devenir l’un des plus grands poètes français !

R : A posteriori peut-être, mais la vie de Rimbaud n’a pas été de tout repos.

S : Pourquoi ? Aurait-il bourlingué ?

R : C’est effectivement le cas. Un peu partout en Europe. La Belgique, l’Angleterre, l’Allemande, l’Autriche, l’Italie, et j’en passe sans doute. Une vie de patachon !

S : Mais enfin Professeur, un peu de respect pour Arthur.

le professeur Raoul Demeusardancourt

R : Excusez-moi, mademoiselle Sidonie. Vous avez raison. Pour en revenir à la carrière de poète du jeune Rimbaud, elle a été très courte. À vingt ans, il arrête d’écrire des poèmes.

S : Oh lala ! Quatre ans d’écriture seulement, et marquer ainsi l’histoire littéraire… Quelle aventure !

R : Oui, et après, l’aventure, Arthur Rimbaud va tâcher de la vivre d’une autre façon. Il va même devenir un temps soldat dans l’armée coloniale néerlandaise.

S : Quoi ? Rimbaud pioupiou !

R : Eh oui ! Mais arrivé à Java, il va déserter. Bref, après son retour en Europe, il finit par partir pour l’Afrique, en Abyssinie, pour faire du commerce de quincaillerie, de vêtements, de café, entre autres.

S : Quoi ? Il devient quincaillier !

R : C’est une façon de voir les choses. Disons qu’il est négociant.

S : Et ça va durer longtemps son business ?

R : En gros une dizaine d’années. Jusqu’à ce que sa santé le ramène en France. Malade, il séjourne à l’hôpital de Marseille. Il a un gros problème à sa jambe droite. Comme moi, il perd sa jambe, mais il n’y survivra pas.

S : Ah, c’est pas d’chance !

R : Arthur Rimbaud meurt le dix novembre 1891, il avait 37 ans.

S : Quel destin ! Mais là, tel qu’on le voit, pressé de quitter Charleville, la tête brûlante et pleine de poésies, il ne sait pas encore tout ce qu’il va vivre !

Arthur Rimbaud traversant la Place Ducale de Charleville

R : Et non, mais pour sa première fugue, souhaitons-lui quand même quelque chose de bon !

S : Bien dit, Professeur ! Et maintenant, où allons-nous ?

R : C’est une surprise !

(c) 2021 Cyril Leclerc (dessins) et Jérôme Paul (texte)

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