42. Vous pouvez m’appeler Antoine.

– Gendarme Madédée, vous allez téléphoner à la morgue qu’elle nous envoie d’ici une heure une voiture. Après, vous surveillerez qui vous savez.

– Oui, chef.

– Gendarme Magogneau, je vous mets sous les ordres du docteur Louvette qui va procéder à quelques analyses. Vous lui apporterez les oreillers des quatre chambres, sans oublier celui qu’Arlan avait dans sa valise. Et d’ailleurs, vous apporterez au docteur tout ce qu’elle vous demandera : fibre, fil, poil et tout autre filament.

– Oui, chef.

– Madame Louvette, Hugo est un rapide. Sitôt demandé, sitôt servi. Je vous laisse. J’ai encore à faire dehors.

Je quittai l’auberge, une fois de plus avec plaisir. La journée était longue et ce lieu commençait à me peser. Je pris la rue des Champs comme on prend la clé des mêmes espaces. En contournant l’auberge par le côté, je passai le long du jardin, non loin de la tonnelle. Victor Grumillon m’aperçut et levant son verre de cidre me cria :

– À votre santé, monsieur Fabert.

– Monsieur Fabert, plaça la Victorine, un bout de galette ? De la tarte aux quetsches ? Du biscuit de Revin ? J’ai fait aussi du gâteau au chocolat, pas trop cuit. Vous en voulez un morceau ?

Je déclinai toutes ces offres. Je n’avais plus faim ni soif. Au bout de la rue des Champs, j’arrivai à la ferme de Marguerite Versaine. Une vraie belle poule rousse, la Margot, au milieu de ses dindes rouges. Elle était justement assise au soleil sur un banc adossé contre le mur de pierre de taille de sa maison. Elle prit le temps de me voir venir, un sourire aux lèvres.

– Rebonjour, gendarme Antoine Fabert. Comment allez-vous et comment se déroule votre dimanche ?

Il n’y avait pas d’ironie dans sa voix, juste un tout petit peu de moquerie gentille, de celle qu’on réserve aux personnes que l’on aime. C’est du moins ce que je voulais croire.

– Il touche à sa fin.

– Vous avez fini votre enquête ?

– Pour ainsi dire. J’aurais besoin encore d’un peu d’information.

– Un peu d’information ? Quelle curieuse façon de dire !

– Connaissiez-vous Marou Piepie-Vanvan ?

– Pas vraiment. Ce que j’ai appris de lui, je le tiens de Rose. Vous savez, Rose Alonde qui travaille parfois pour l’auberge.

– Que savez-vous de lui ?

– Que c’était un Don Juan, et que toute la gent féminine de Bayencourt serait passée à la casserole, la sienne.

– Sauf la boulangère et la bouchère, d’après les dires de ces deux commerçantes.

– Ce n’est pas ce que j’ai entendu dire. D’après Rose, le Piepie-Vanvan se serait chargé des deux inséparables commères ensemble, en même temps et dans un seul lit. Les deux seules femmes n’ayant pas succombé à son charme, ce sont Alice Louvette et Joséphine Puchelotte.

– Oui, je sais. Et vous ?

Marguerite Versaine partit dans un bel éclat de rire qui couvrit les glouglous de ses dindes rouges. Était-ce pour cacher une réponse qui m’aurait blessé ? Ou était-ce tout simplement parce qu’il était risible que l’officier de police judiciaire Antoine Fabert ait eu une telle idée et qu’il l’ait énoncée avec deux mots et un soupçon de jalousie dans la voix ?

– Rassurez-vous. Comme je vous l’ai déjà dit, je suis toute nouvelle ici. Et selon Rose, Marou Piepie-Vanvan avait un emploi du temps trop chargé pour me consacrer quelques minutes. D’ailleurs, il n’est jamais venu jusqu’ici. Êtes-vous satisfait ?

Je ne répondis pas à sa question. Je cherchai un moyen de voir ses fesses. Mais celles-ci étaient assises et cela n’offrait pas une vue satisfaisante. Je sais, Amédé me dirait que ce n’est pas sérieux, et Hugo, qui est mon cadet, prendrait des airs professoraux pour m’enseigner l’art et la manière de mener une enquête.

– Pourriez-vous me faire visiter votre jeune exploitation ?

– Mais bien sûr ! Suivez-moi. On va passer par la maison.

Elle se leva, je la suivis. Je ne pus rien voir de l’intérieur traversé car je n’avais d’yeux que pour le postérieur de Marguerite. Quelque chose me rassurait. Elle avait un joli petit cul. Je pus alors regarder ailleurs : ses jambes, sa taille, ses épaules, les installations pour l’élevage des oiseaux, sa belle bouche, sa poitrine, le local pour la transformation des oiseaux, son joli minois avec quelques taches de rousseur et les cheveux roux. J’aime bien les rousses, mais pas ce dimanche-là. J’aurais préféré que mademoiselle Versaine fût blonde ou brune.

– Qu’est-ce que vous en dîtes ?

– Hein ? Ah ! Eh bien que c’est prometteur.

– Oui, mais vous savez, je ne veux pas trop grandir. Si j’ai trop de bêtes, ce sera trop de travail. Et il y a d’autres choses à faire dans la vie. N’est-ce pas ?

– Vous avez tout à fait raison. Je vous remercie pour la visite. Je vais devoir retourner à l’auberge finir le mien, de travail.

– Au revoir, Marguerite.

– Au revoir, gendarme Antoine Fabert.

– Vous pouvez m’appeler Antoine.

 

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