Si on demande de citer un ouvrage d’André Dhôtel, c’est sans aucun doute « Le pays où l’on n’arrive jamais » qui vous vient à l’esprit. Ce roman a acquis depuis 1955 une certaine réputation, principalement grâce au prix Fémina qu’il reçut cette année-là. Depuis, le roman a compté de nombreuses éditions en format poche ou dans des collections Jeunesse. Dans les Ardennes, ce prestige est accru par la figure emblématique du grand écrivain ardennais. Mais cette renommée est-elle justifiée ? Pour le savoir, il faut (re)lire le livre. L’a-t-on lu ? On pourra vous répondre : « Il y a bien longtemps, je ne m’en souviens plus… » ou « J’en ai entendu parler… mais n’est-ce pas un roman pour les enfants ? » le pays où l'on arrive jamais - jeunesse

Le personnage principal, Gaspard Fontarelle, 15 ans, vit et travaille chez sa tante, à l’hôtel du Grand-Cerf à Lominval, une « enclave de la forêt des Ardennes ». Sa vie routinière va être bouleversée par le passage d’un fugitif de son âge, avec qui il réussit à communiquer. Le fugitif, rattrapé par son tuteur, disparaît. Dès lors, pour Gaspard, rien ne peut rentrer dans l’ordre : il se doit de revoir son ami et de l’aider à retrouver son pays perdu. Voilà en quelques mots l’intrigue du roman. C’est sympathique, ça colle avec l’étiquette roman pour la jeunesse. Mais attendez, car ce n’est pas tout.le pays où l'on arrive jamais - bleuDe la forêt ardennaise, on suit les méandres de la Meuse en Belgique, on bifurque à gauche en Flandres jusqu’à Anvers, on prend même la mer pour aller aux Bermudes, et finalement, on fait le chemin à l’envers, pour revenir dans les Ardennes. C’est justement sur cette géographie qu’il faut s’arrêter si on veut se faire une idée du roman. Certes, il y a un ancrage bien ardennais qui réjouit le chroniqueur de la Cacasse à cul nu, et cela ouvre d’office une place dans notre bibliothèque ardennaise. Mais cela va bien au-delà. Selon moi, la géographie du roman a une influence capitale sur le génie d’André Dhôtel ou sur ses faiblesses. C’est comme si le lieu déterminait la qualité littéraire des chapitres. Vous avez dans « Le pays où l’on n’arrive jamais » des lieux denses qui offrent des chapitres remarquables, et des lieux plus dilués qui présentent des passages que j’ai trouvés trop longs, moins intéressants. Et curieusement (et même si vous trouvez le chroniqueur de la Cacasse littéraire trop partial…) la densité du texte, c’est quand on est dans la forêt ardennaise, et les parties diluées, c’est le plat pays des Flandres et l’étendue de l’océan Atlantique. Dans ma lecture, j’ai vraiment eu l’impression de lire un roman pour la jeunesse sans véritable intérêt quand on quittait les Ardennes.le pays où l'on n'arrive jamais - éditions pierre horayEncore une fois, on va me dire que ma lecture a été orientée 08, que j’ai chaussé les lunettes de sanglier, que je ne suis pas honnête. C’est pourtant mon sentiment, et je suis sûr qu’un non Ardennais pourrait faire la même analyse que moi. Quand l’action se passe dans les Ardennes, le roman est encore une fois plus dense, plus intéressant. Prenez le premier chapitre qui raconte l’enfance de Gaspard. Ce garçon est une mine d’or pour le lecteur. Dhôtel nous raconte ses « aventures mémorables qu’il génère involontairement ». C’est truculent. Il y a du merveilleux dans l’air. C’est tout simplement du réalisme magique ! Et il se poursuit lorsque Gaspard réussit à monter à cru un cheval pie qui semble sauvage et quand celui-ci l’entraîne dans une chevauchée incroyable (toujours dans la forêt) pour le conduire finalement chez un coiffeur de Fumay, lui aussi très original. Pendant le voyage ardennais de Gaspard, André Dhôtel nous offre du merveilleux et de l’incongru poétique. Plus tard, après le passage plus plat du plat pays flamand et celui plus dilués de l’océan qui racontent finalement une aventure pour adolescents, on retourne en forêt, et conséquemment on regagne en densité narrative. On arrive au château de la Belle au bois dormant ou de la Belle et la Bête comme l’a filmé Cocteau. Les situations redeviennent étranges, poétiques, merveilleuses. La fin du roman offre au lecteur la solution de l’énigme, la clé du titre en expliquant quel est ce pays où l’on n’arrive jamais.le pays où l'on arrive jamais - vieux pocheRelisez ou découvrez ce roman d’André Dhôtel, et faites-vous votre opinion. Si je me suis perdu dans les horizons indéfinissables de la Flandre ou de l’Atlantique, je me suis retrouvé mille fois dans le paysage ardennais. Le « Pays où l’on n’arrive jamais » n’aurait jamais dû quitter la forêt.

 

Vous pouvez trouver sur internet le roman en version poche pour le prix de deux ou trois cafés.

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Vous aimez André Dhôtel et vous voulez une lecture exigeante, alors (re)lisez la chronique sur Vaux étranges :

Vaux étranges, d’André Dhôtel, vallées singulières