27. Une finesse incroyable et inattendue

 

La suite du repas ne fut aucunement décevante. Les quatre Étoiles qui nommaient l’auberge auraient pu, d’après moi, qualifier la cuisine de Victorine Grumillon. Le boudin blanc de Rethel chemisé de jambon d’Ardenne, les échalotes glacées, la purée issue de la cacasse à cul nu… Ah ! C’était rustique, mais il y avait une finesse incroyable et inattendue dans la préparation, la cuisson et le goût.

Malgré l’atmosphère tout de même tendue, on tâchait de parler de choses et d’autres. Les Grumillon regrettèrent qu’il n’y ait plus de curé à Bayencourt et que la messe à l’église n’y soit dite qu’une fois tous les quatre mois.

– Car avec la messe tous les dimanches, fit remarquer Victorine, ce serait une clientèle assurée après l’office, pour l’apéro.

– Et même pendant la messe, ajouta Victor, il y aurait toujours quelques mécréants qui, ayant conduit bobonne sur le parvis, viendraient ici goûter mon vin de messe. Et tout ça, ç’aurait été une source non négligeable de revenu.

L’argent revient toujours à table. Quand il n’en est pas question, l’attablé français aime élever son âme en parlant culture, qui comme l’argent est une autre forme de religion, ou mieux dans le cas des arts, d’élégante bigoterie. Je profitai de cette possibilité pour aller titiller l’un de mes suspects :

– Monsieur Arlan, je ne suis pas un grand lecteur, et je le déplore, dis-je donc en jouant le pédant. Ce qui fait que je ne connais pas bien votre œuvre. Dites-moi, comment pourriez-vous qualifier vos romans ?

Arlan, Charles-Edouard, que j’avais vu en lambeaux de pleurnicherie dans la matinée, masquait bien son jeu – lequel ? – en public. Il avait repris son rôle d’écrivain parisien et expliqua avec une certaine arrogance et en phrases pompeuses le fait qu’il écrivait des romans populaires – qui se vendaient très bien – et dont la marque principale était qu’il s’agissait toujours d’histoires de fantômes.

En face de lui, Crolle semblait bouillir en voyant Arlan faire l’important. Ce n’était pas seulement de la colère, mais aussi une sacrée dose de malheur qui semblait accompagnée cette réaction. Arlan, tout heureux, de faire le paon, même devant un auditoire de province continuait :

– D’ailleurs, ne m’avez-vous pas vu à la télévision ? J’y passe régulièrement. Non ? C’est curieux.

– Et la radio ? demanda l’aubergiste.

– La radio, oui, bien sûr. Ah donc, en province, on m’entend plus à la radio. Très intéressant. J’en prends note.

Roger Crolle avait tout d’un coup apparemment abandonné son ressentiment et s’enfonçait maintenant dans l’acceptation de la douleur. Heureusement, c’était le tour de la salade à Victorine, qui fut servie avec le plateau de fromages. Puis, il y eut les fraises au sucre pour terminer simplement ce merveilleux repas.

Les gendarmes Madédée et Magogneau avaient desserré leur nœud de cravates, et la boucle de leur ceinturon. J’avais bien vu qu’ils s’étaient à chaque fois resservis, qu’ils avaient fini tous les plats. Ils commençaient à s’affaisser sur leur chaise. J’eus pitié d’eux.

– Gendarme Madédée, veuillez gentiment demander à monsieur Victor Grumillon de nous prêter, pour les besoins de l’enquête, son grand trousseau de clés. Vous irez ensuite verrouiller la porte de la cuisine qui donne sur le jardin et m’apporterez le trousseau. Après, avec le gendarme Magogneau, vous irez encore une fois inspecter le premier étage. On n’inspecte jamais assez les premiers étages, lançai-je bêtement.

Je pris mon bloc-notes, écrivis les seuls mots du jour : « Chambre numéro 2, pas plus de trois quarts d’heure, bonne sieste, les gars ! ». Je tendis le papier à Hugo en disant :

– Voici mes instructions.

Mes gendarmes montèrent à l’étage avec un sourire bon enfant. Je me levai, abandonnai secrètement le bloc-notes pour le reste de l’enquête – il y avait assez d’écrivains autour de moi -, remis mon képi, car il me fallait tout de même de l’autorité, et donnai le reste de mes ordres.

– Monsieur Grumillon, pourriez-vous me faire un café bien serré. Mademoiselle Alonde, voulez-vous accompagner messieurs Arlan et Crolle à la cuisine et leur montrer comment on fait la vaisselle d’un aussi bon repas ?

Les deux clients furent si surpris qu’ils ne protestèrent pas. Monsieur Grumillon les poussait d’ailleurs à la cuisine.

– Madame Grumillon…

– Appelez-moi Victorine.

– Je vous remercie pour ce fantastique repas. Si vous le désirez, vous pouvez aller vous reposer dans vos appartements.

– Je n’osais pas le demander. Je vais faire une petite sieste.

 

La suite (chapitre 28) en cliquant ici.

Vous avez loupé le chapitre 26 ? Cliquez ici.

Vous ne pouvez pas attendre la suite ? Vous voulez absolument savoir ce qui va se passer ? Bonne nouvelle, la version complète de Pêle-mêle macabre à Bayencourt est maintenant disponible en livre électronique…

Pour les liseuses Kindle, cliquez ici, sur l’image :

Pour les autres liseuses, cliquez là, sur l’image : Pêle-mêle macabre à Bayencourt