31. Le fond Pirolet

 

Un chat se mit à miauler. C’était pour le libraire le signal d’une visite. Jean Pirolet, la soixantaine, sortit de sa cuisine où il équeutait des haricots verts, pour accueillir le client. Quand il vit l’uniforme, il fit :

– Ah ! C’est pour l’affaire ou est-ce quand même pour les livres ?

J’étais maintenant habitué à ce que le village entier soit plus ou moins au courant de ce qui m’occupait à l’auberge.

– Les deux, s’il vous plaît.

– On commence par quoi alors ?

– Par les livres.

– Très bien. Vous cherchez quoi ?

– Vous avez des Gaston Leroux ?

– Ah ah ! Gaston Leroux ! C’est intéressant. D’habitude, les gens de métier – police ou gendarmerie –, s’ils viennent ici, et c’est rare, me demandent du Simenon. Mais vous êtes le premier uniforme à me demander du Gaston Leroux. Très bien. Maintenant, je crains qu’il faille faire toute la maison pour trouver ce que vous cherchez, car je ne sais plus où je les ai mis. Ou plutôt, où mon assistante les a mis.

– Rose Alonde ?

– Vous connaissez Rose ? Oui, évidemment, l’affaire…

Toujours l’affaire ! L’affaire des Quatre Etoiles, Une affaire louche à Bayencourt, ou encore Une affaire ardennaise. Ça pourrait être des titres de romans policiers !

– Rose est une gamine très sympathique qui adore ranger les livres. Elle veut en faire son métier. Suivez-moi.

Le couloir était tapissé de livres. Le reste de la maison aussi. La particularité de cette bouquinerie était qu’il ne s’agissait pas d’une boutique où une ou deux pièces sont consacrées aux livres, remplis de rayonnages, d’étagères, et de bibliothèques. Non, il s’agissait de la maison que monsieur Jean Pirolet habitait, mais dont l’originalité était que tous les murs, sans exception, étaient recouverts de livres. Le salon, c’était un salon avec son canapé, ses fauteuils, ses petites tables, son bureau, et des livres sur les murs, comme de la tapisserie. La cuisine, c’était une cuisine, avec sa gazinière et son réfrigérateur, la table avec les haricots verts, les chaises, et des livres contre les murs. L’escalier, les WC, la salle de bain et les trois chambres à l’étage, tout était recouvert de livres. Très bonne isolation. On finit par trouver les Gaston Leroux dans la propre chambre à coucher du propriétaire.

– Excusez-moi, j’ai oublié de faire mon lit ce matin. Vous savez, j’ai rarement des clients dans la semaine. Voici les quelques Leroux que j’ai.

Il y avait une dizaine de volumes signés Leroux, ce qui est assez considérable pour une bouquinerie. La plupart des titres étaient déjà dans ma propre bibliothèque.

– Ah, fis-je excité, Confitou. Je n’ai pas encore ce titre. J’en ai pas mal, de Gaston Leroux, mais Confitou, pas encore. Ah, je suis content.

Je pris le livre : un petit format réellement fait pour la poche. Une réédition populaire des années vingt, mais avec une reliure en maroquin.

– A voir le travail, c’est un amateur qui a relié lui-même l’ouvrage, fit Pirolet en expert.

– Peut-être, mais un amateur, c’est aussi un amoureux.

– Prenons-le dans ce sens, effectivement. Y a-t-il d’autres ouvrages qui vous intéressent ?

– Oui, mais ce sera pour une autre fois. Je voudrais vous poser quelques questions à propos de l’affaire maintenant.

– Descendons, nous serons mieux en bas pour parler. Si ça ne vous dérange pas, je continuerai à équeuter mes haricots verts.

La cuisine avait une fraîcheur agréable. Les murs étaient couverts bien sûr de livres de cuisines, mais aussi de toutes sortes de livres pratiques. Je pus lire au passage quelques tranches : Les conserves chez soi, L’art d’élever les lapins et d’obtenir le maximum de profit de leur chair et de leur peau, Manuel du parfait jardinier, 300 recettes de cuisine en temps de restrictions alimentaires. Un vrai bonheur !

– Avez-vous eu hier la visite de clients ?

– Oui, monsieur Marou est venu faire sa visite annuelle.

– C’est-à-dire ?

– Monsieur Marou vient chaque année à la même époque m’acheter quelques livres, un choix très éclectique allant du roman d’amour pour cœurs en peine au roman d’aventures pour exaltés. Mais il vient surtout pour le fond Pirolet.

– Le fond Pirolet ?

– J’ai eu l’idée de cette bouquinerie quand j’ai hérité de la bibliothèque, assez conséquente, de mon oncle. Mais je ne l’ai mise en pratique que quelques années plus tard. Mon oncle, un vieil ethnologue, s’était spécialisé dans les contes en général et les histoires de fantômes en particulier. J’ai baptisé l’ensemble des ouvrages se rapportant à ce sujet le fond Pirolet. Il y a de tout : des livres spécialisés, d’autres plus grand public, des tas de revues et même des cahiers de notes manuscrites de mon oncle.

– Monsieur Marou s’intéressait à ce fond ?

– Il venait chez moi spécialement pour ce fond. Il pouvait passer des heures à consulter les ouvrages avant d’en choisir un et de me l’acheter. Les autres bouquins dont je vous ai déjà parlé, il donnait l’impression de les prendre presque au hasard, au passage, dans le couloir.

– Vous avez eu hier un autre client.

– C’est vrai. Celui-là, je ne le connais pas. Un type d’une cinquantaine d’années, avec des cheveux frisés.

– Qu’était-il venu chercher ici ?

– Pas des livres, à mon avis. Il avait plutôt l’air d’un emmerdeur. J’étais dans ma cuisine en train de faire de la confiture de rhubarbe quand j’ai entendu à l’étage, dans la chambre où se trouve le fond Pirolet, une dispute entre monsieur Marou et le frisé. Je n’ai pas bien compris ce qu’ils se disaient, mais il y avait des menaces.

– Qui les proférait ?

– Le frisé. Je suis monté. J’ai entendu encore le frisé parlé d’argent. Quand je suis entré dans la chambre, il en est sorti. Monsieur Marou avait choisi un ouvrage du fond Pirolet, une revue belge. Il a pris très rapidement ses autres ouvrages, a payé, et il est sorti en me disant « à l’année prochaine ».

– Et c’est tout ?

– Quand monsieur Marou est sorti, l’autre, le frisé, l’attendait dans la rue. Ils ont pris la direction de la place du village. Le frisé suivait monsieur Marou. Un vrai emmerdeur, ce frisé.

Je payai mon Confitou, remerciai le bouquiniste et sortis.

 

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