35. Peut-être !
– Et maintenant, Antoine, qu’est-ce qu’on fait ? On l’arrête ?
– Qui ?
– Et bin, le Roger Crolle-Cuvilleux ! Toute cette embrouille, ce n’est pas très clair, non ?
Je ne répondis pas à Amédé. Encore un qui aime l’action. Il aurait même tendance à agir avant de réfléchir. Il lui fallait du mouvement.
– Je ne serais pas étonné, dis-je, si le coffre de la voiture de Roger Crolle était plein des œuvres de Jacques Cuvilleux. Il aurait profité de son petit voyage en province pour tenter de placer sa prose dans les librairies-papeteries établies sur sa route.
– Je peux aller vérifier, si tu veux.
– Essaie de trouver dans sa chambre ses clés de voiture, et aussi une pièce d’identité.
Amédé s’exécuta tout de suite. Il disparut par la cuisine. Le temps que la porte s’ouvre et se ferme, je perçus les jérémiades de l’écrivain célèbre. Célèbre ! Tandis que l’autre était un écrivain inconnu. J’entamai les premières pages du livre de Jacques Cuvilleux. Ça ne m’avait pas l’air trop mal, peut-être un style pas terrible, mais la première phrase accrochait, le premier paragraphe retenait, la première page coulait vers la deuxième. Arlan était célèbre, l’autre malchanceux. La porte de la cuisine s’ouvrit et claqua aussitôt. Amédé me revenait.
– Eh eh eh ! ricana-t-il. On est quand même fort, hein ?
Il me montra des clés de voiture et une carte d’identité.
– Et alors ? questionnai-je.
– Roger Crolle est son vrai nom. Jacques Cuvilleux est un imposteur.
Amédé n’avait pas tout à fait compris. Je ne voulus pas rectifier. Nous nous dirigeâmes vers le petit parking de l’auberge, situé sur son côté. J’indiquai à Amédé la voiture immatriculée 95, Val d’Oise, Sannois. Pas compliqué, la seule autre voiture, certainement celle des Grumillon, était évidemment du 08.
– Ouvre le coffre.
Il s’exécuta. Comme je me l’étais imaginé, le coffre contenait quatre cartons remplis de livres. Amédé les examina et ne put s’empêcher de dire :
– Qu’est-ce que c’est que cette embrouille ? Tu as vu, Antoine ? Que des livres neufs et tous les mêmes, du même imposteur. Je sais très bien que rien n’interdit d’avoir des livres dans son coffre, mais dans ce cas-là, ça fait quand même louche. Tu ne trouves pas ? Il y a comme un trafic.
– Arrête de voir le mal partout. Ou plutôt viens, on va fouiller la chambre de Crolle et là, je te demanderai d’y voir le mal et surtout de me le montrer.
Le coffre fermé, direction l’entrée principale de l’auberge – Amédé en avait gardé la clé. A l’étage, dans la chambre numéro 1, aussitôt ganté de latex, Amédé se mit tout de suite à chercher. Je l’arrêtai et lui demandai de remettre à leur place les clés de voiture et la carte d’identité. Il le fit et se remit aussitôt, fébrilement, à chercher. Je l’observais sur le pas de la porte : il remuait à demi des objets, ici et là, à gauche, à droite, et faisait des bruits avec son nez.
– Amédé, que cherches-tu ?
– Je ne sais pas, un truc louche.
– Cherche plutôt un manuscrit, un tas de feuilles, des documents format A4.
Ce ne fut pas long. Un coup d’œil sous la couette, un autre sous le matelas, un troisième sous le lit, un court temps de pause, puis enfin Amédé souleva de nouveau le matelas et en retira un paquet de feuilles et un boitier de plastique contenant un cd-rom.
– Amédé, tu es fantastique.
Amédé était surtout très content. Il lut le titre : Je ne crois pas aux fantômes, et pourtant…
– Cette fois-ci, on va l’arrêter, le Roger Crolle.
– Pourquoi ?
– Parce que c’est Crolle qui a fait le coup. C’est clair !
– Quel coup ?
– Il a trucidé le Marou Piepie-Vavan.
– Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
– Bin, tu sais, du vol au crime, il n’y a qu’un pas. Et avec un tel imposteur qui, en plus, fait du trafic, pour moi, le pas est franchi.
– Pas sûr.
– Au moins, on est sûr qu’il a volé le manuscrit écrit par Arlan.
– Le manuscrit a été volé ? Peut-être. Volé par Crolle ? Peut-être. Ecrit par Arlan ? Peut-être.
– Ah, tu m’énerves avec tes ‘peut-être’ !
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