38. C’est très juste
– Si je comprends bien la Victorine, dit Hugo une fois que madame Grumillon était repartie à sa cuisine, car il y avait des choses dans le four, si je comprends bien, Marou Piepie-Vanvan est arrivé avec des documents. Ces documents sont passés partiellement et peut-être totalement dans les mains du Charles-Edouard Arlan qui, à son tour, se les ait fait volés…
– Par Roger Crolle, compléta Amédé.
– Non !
– Si, je t’assure. Enfin, c’est mon idée.
– C’est Amédé, expliquai-je, qui a trouvé les documents sous le matelas de la chambre numéro 1, celle de Crolle. Ça ne prouve pas directement que Roger Crolle ait volé les documents, mais c’est vrai que ça le dessert fortement.
– Si Crolle a volé, peut-être a-t-il aussi tué ! fit Hugo.
– Avec des ‘si’, on ferait des Ardennes le premier département touristique de France, remarquai-je. Ce qui est sûr, selon moi, c’est que le Marou est un nègre.
– Antoine ! s’offusqua Amédé. Enfin, toi, dire des choses pareilles !
– Quoi ? Que le noir est nègre ?
– Amédé a raison, ajouta Hugo. On est civilisé, tout de même. Tu peux dire ‘black’ si tu veux faire jeune. Mais dans la gendarmerie, on n’a pas à faire jeune, on doit faire administratif, alors il faut bien parler.
Je me tus un instant laissant aux gendarmes Magogneau et Madédée l’illusion d’une victoire sur un plus gradé qu’eux. Puis, posément, je leur expliquai qu’en littérature – je me repris : dans le monde des livres -, un nègre était quelqu’un qui écrivait contre rétribution des livres à la place des autres et que ces autres signaient ces livres, et en tiraient seul la gloire culturelle.
– Mais c’est dégueulasse, jeta Hugo.
– Sois un peu plus administratif, renvoyai-je à Magogneau.
– … il n’y a pas de mot, corrigea-t-il.
– Oui, il n’y a que des phrases, mais c’est trop long.
– Mais alors, lança Amédé, si le Piepie-Vanvan est un nègre, ça voudrait dire que l’Arlan n’écrit pas lui-même ses livres ? Que le Marou est le nègre du Charles-Edouard ?
J’acquiesçai de la tête.
– Mais alors, répéta Amédé, on a maintenant un deuxième imposteur.
– Qui est le premier ? demanda Hugo.
– Je te raconterai, dit Amédé. Et pour moi, comme je l’ai déjà dit tout à l’heure à Antoine, l’imposture est le premier pas vers le crime, et même le crime de sang. Alors ça ne m’étonnerait pas que le Charles-Edouard Arlan, il ait trucidé le Marou Piepie-Vanvan.
Je ne relevai pas la versatilité d’Amédé qui changeait de criminel au fil des impostures. Je ramenai mes assistants à la réalité de l’enquête, quitte à les décevoir, et fit un rappel des acquis : Piepie-Vanvan écrit pour Arlan le manuscrit Je ne crois pas aux fantômes, et pourtant… Il devait travailler pour Arlan depuis plusieurs années, et ils se donnaient rendez-vous une fois l’an à la même époque à l’auberge des Quatre Étoiles pour la remise du manuscrit contre rétribution.
– Mais, fit Hugo, Victorine Grumillon a remarqué que tout le manuscrit ne passait pas dans les mains d’Arlan.
– Certainement un accord dans la transaction : Arlan veut bien sûr s’assurer de la qualité du travail avant de donner son salaire à Marou. Mais celui-ci n’est pas fou. Il ne donne, par exemple, que les quatre cinquièmes du manuscrit à Arlan. Quand Arlan est convaincu, la véritable transaction a lieu : l’échange de l’argent contre les dernières pages, et peut-être une version numérique du tout. À côté de ça, voilà Crolle. Roger Crolle écrit sous le pseudonyme de Jacques Cuvilleux.
– Encore un écrivain, fit Hugo victorieux. Ah, les misérables !
– Un écrivain, mais de ceux qui n’arrivent pas à publier de livres par la voie habituelle. Et surtout un écrivain inconnu qui doit jalouser le succès non mérité d’Arlan. Bref, Crolle a su d’une manière ou d’une autre la forfaiture d’Arlan et quand, où, comment et par qui il se procurait chaque année le manuscrit qui deviendrait un best-seller. Il y a de forte chance pour que ce soit Roger Crolle qui ait volé le manuscrit, soit entier à Arlan…
– … et alors la transaction a eu lieu, remarqua Amédé.
– Exactement. Soit partiellement à Arlan et le reste à Piepie-Vanvan…
– … et alors la transaction n’a pas eu lieu, insista Amédé.
– Je ne te le fais pas dire.
Le silence s’imposa après mon explication. C’est Hugo qui le rompit, suivi aussitôt d’Amédé.
– C’est bien joli tout ça, mais d’une manière ou d’une autre, ça ne nous dit pas où est l’argent, ou le chèque, car on n’a rien retrouvé.
– Et surtout ça ne nous dit pas non plus qui a tué le Marou Piepie-Vanvan.
– C’est très juste, fis-je fier de mes assistants.
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