48. Tête-bêche

Victorine apparut, descendit les quelques marches qui menaient de la cuisine au jardin et s’arrêta. Un instant, elle scruta son paysage comme si cet inventaire était nécessaire avant un tournant dans sa vie. Les mains sur ses larges hanches, Victorine respira son jardin, gonflant plus encore son ample poitrine. On aurait dit une déesse de l’âge de pierre.

Le charme fut bousculé par Amédé qui sortait, lui aussi, de l’auberge. Mon gendarme et ma cuisinière s’avancèrent. J’invitai Victorine à s’asseoir sur la frêle chaise de jardin. Elle préféra le banc de bois, car la chaise, fit-elle remarquer, lui était trop étroite.

– Madame Grumillon, avant toute chose, je veux ici vous remercier pour votre accueil et surtout pour votre art culinaire. Vraiment, vous nous avez régalés.

– Oh, je n’ai aucun mérite. J’adore cuisiner, et pour tout dire, je ne sais faire que ça.

– Pratiquez-vous souvent votre art pour régaler vos contemporains ?

– Pas vraiment. On a peu de clients, vous savez. Je ne sais pas comment mon mari se débrouille pour les sous, mais il doit être sacrément comptable pour nous faire vivre avec ce que l’on gagne. Je dois avouer que je me fais du souci sur la question des finances. Combien de temps encore pourrons-nous vivre heureux à Bayencourt ?

– Combien de temps serez-vous encore la reine de votre cuisine et de votre potager ? Mais encore pas mal d’années, j’espère.

– Vous êtes bien gentil, monsieur Fabert, mais je crains le pire.

– Pourquoi ?

– À cause de l’affaire.

– Ah, l’affaire… oui. Supposons un instant qu’il n’y ait pas d’affaire. Savez-vous ce que vous pouvez faire pour aider monsieur Grumillon à redresser les comptes de l’auberge des Quatre Étoiles ?

– Dites voir.

– Vous allez faire les marchés.

– Hein ? Mais pour vendre quoi ? Mon Dieu, quelle déchéance !

– Ah, madame Grumillon, il ne faut pas dire du mal des marchés. Le marché, c’est le potager des gens des villes, ceux qui n’ont pas de jardin. Vous n’y vendrez rien, mais vous y ferez goûter votre cuisine, vos spécialités. En alléchant ainsi toute la région, vous ferez la meilleure publicité qui soit, et croyez-moi, la clientèle reviendra aux Quatre Étoiles.

– C’est une bonne idée. Je vais y songer.

– Et parlez-en à votre mari. Vous verrez, il sera enthousiaste.

– Vous êtes bien bon, monsieur Fabert, mais je n’oublie pas que vous êtes gendarme et que vous êtes à Bayencourt pour l’affaire.

– C’est vrai.

– Vous allez être dur.

– Ça aussi, c’est vrai.

– Et ça, ça me fait peur.

– Et vous avez raison d’avoir peur. Alors, madame Grumillon, revenons donc à l’affaire. Où étiez-vous cette nuit ?

– Bin, au lit.

– Oui, mais lequel ?

– Ah, vous êtes dur, monsieur Fabert. Ce n’est pas gentil de poser de telles questions. Ça ne se fait pas. C’est un peu comme demander l’âge à une dame.

– C’est mon métier.

– Quel drôle de métier ! Vous feriez mieux d’attraper les voleurs…

– Et les criminels.

– Ah, je ne suis pas une criminelle !

– Reprenons.

– Vous me faites vraiment peur, monsieur Fabert.

– Ne craignez rien. Tenez, je vais dire comment ça s’est passé et vous me ferez vos commentaires, s’il le faut. Donc hier soir, vous êtes allée vous coucher avant la fin du match. Vous avez attendu dans votre chambre que tout le monde aille se coucher.

– En fait non. Je me suis bien endormie, mais j’avais mis un réveil sous mon oreiller.

– Sur une heure du matin.

– Une heure moins le quart.

– C’est juste. Il vous fallait être sûr que tout le monde dormait, surtout monsieur Grumillon. Vous êtes ensuite montée à l’étage et avez ouvert le plus doucement possible la porte de la chambre de monsieur Piepie-Vanvan dont vous étiez la maîtresse.

– La maîtresse, s’exclama Victorine le rouge aux joues, la maîtresse, c’est beaucoup dire. Une fois l’an à date fixe, certes, c’est régulier, pourtant je ne dirais pas que j’étais la maîtresse de monsieur Marou. C’était, comme qui dirait, occasionnel. Comme toutes les femmes de Bayencourt d’ailleurs.

– Toutes les femmes ?

– Pratiquement toutes, sauf les nouvelles peut-être, car monsieur Marou avait un emploi du temps chargé. Moi, par exemple, j’avais le créneau du début de la nuit. La Rose Alonde avait celui de la fin de nuit.

– Vous étiez jalouse ?

– Un tel professeur pour la gymnastique, ce serait dommage de ne pas le partager. De toute façon, c’était ça ou rien.

– Et alors arrive l’accident.

– C’est ça ! C’était un accident.

– Vers les une heure et demie, une position très savoureuse fut fatale à monsieur Piepie-Vanvan. Pour rester correct, nous dirons qu’une position tête-bêche ayant duré un peu trop longtemps, vous sur lui, et tout à votre occupation et à votre plaisir, vous n’avez pas su interpréter les gémissements de monsieur Piepie-Vanvan et ses ongles enfoncés dans la peau de vos hanches. Vous devez en garder les marques, d’ailleurs. Quand vous avez changé de position, vous vous êtes rendu compte du drame. Vous avez pris peur et vous vous êtes sauvée assez bruyamment.

– C’est comme vous le dites, monsieur Fabert, confirma Victorine la voix tremblante et les larmes aux yeux.

– Je vous remercie madame Grumillon. Vous pouvez rejoindre les autres à l’auberge. Je vous suis dans une ou deux minutes.

 

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