De nombreux Ardennais connaissent Yanny Hureaux par sa Beuquette, ce billet paraissant dans le journal du département. Mais ont-ils lu un de ses ouvrages ? Que ce soit oui ou non, je vous invite à lire ou relire Bille de chêne, paru en 1996. Bille de chêne, ce sont des souvenirs d’enfance à Gespunsart au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Mais c’est bien plus que ça. C’est une lettre d’amour à sa terre, à son terroir où la forêt tient une place de la plus haute importance. Avec l’imagination de l’enfance, nos bois prennent une dimension d’aventures comparables aux voyages des grands explorateurs. Et l’île au trésor, c’est le village de l’auteur.
« Dans le Nord de la France, juste à la frontière belge, au large de la Pointe de Givet,
il est une île que cerne l’océane forêt d’Ardenne, la clairière de Gespunsart. »
Bille de chêne : on pense non seulement au billot de chêne (de l’un des arbres emblématiques de nos forêts), et aussi au jouet de l’enfant qui, par pauvreté, se serait fabriqué des billes en bois, mais encore à la tête du jeune garçon que la dureté des temps et du terroir aurait transformé en bois dur. Cette merveilleuse polysémie du titre présage parfaitement le contenu du livre.
Dès les premières pages, Yanny Hureaux s’adresse indirectement aux étrangers (le reste de la France) qui ne parlent pas notre langue, en expliquant des expressions bien de chez nous.
« (…) l’auge en chiste que les Français nomment évier et les Ardennais glassi.
Il est éclairé par un œil-de-bœuf en pierre de taille : la beuquette.
Dans notre langue, beuquer signifie épier. »
À de nombreuses reprises, les notes en bas de page traduisent en Français de France le patois des Ardennes, quand il ne s’agit pas du dialecte de Gespunsart. Il n’est pas seulement question d’être clair et lisible, il s’agit de marquer ici et là notre individualité. Ce qui fait que les Ardennais sont différents du reste du monde (du moins veut-on le croire).
J’associe à cette volonté de singularité une forme d’irrévérence face à la grande ville, face au pouvoir jacobin ou royal qui toise généralement la ruralité. Quand Yanny Huraux marque le temps, il parle de l’époque d’Arthur I, de celle d’Arthur II ou d’Arthur III. Ces rois Arthur, ce sont les cochons qu’on élève à la maison et qui passent inévitablement à la casserole. Le cochon était la clé de l’industrie familiale dans nos villages d’antan, indispensable à la survie, dont le lard servait aussi bien à graisser le fond d’une cocotte pour une cacasse à cul nu qu’à lubrifier le mécanisme de la pompe à bras car il n’y avait pas encore l’eau courante. Lard qui faisait aussi des miracles sur les peaux abîmées par les engelures ou les brûlures. Le cochon, mieux que le sanglier, est à la base de toute une littérature gastronomique.
« Sur une planche, au beau milieu de la table, sous le soleil de l’abat-jour,
conduite par un regard tranchant et une main ferme, la lame effeuillait quatre pages
dans ce bon gros livre de bonheur : un jambon de notre Arthur ! »
Si le cochon et la pomme de terre – la canada – forment le quotidien des familles rurales de cette époque, il ne faut pas oublier évidemment la forêt (on y revient toujours) qui, non contente de chauffer par le bois des sarts, offre des sujets de braconne et permet aussi de laisser passer les contrebandiers.
« Chez nous, le braconnage débouche sur la contrebande, telle la Semoy dans la Meuse. »
La contrebande, c’est encore cet esprit frondeur d’une partie des gens du cru. Elle enrichit les histoires à la veillée ou même fabrique des légendes. Si la plupart des Ardennais ont oublié le bandit Pyringue, nombreux connaissent encore le nom de Victor Droguest, le roi des contrebandiers ardennais.
Indispensable à la contrebande, c’est, mieux que la frontière, la Belgique ; les Ardennais ne sont-ils pas tous un peu belges par notre appartenance au massif de l’Ardenne ? Ce pays frontalier n’apporte pas toujours que du café, du tabac ou du chocolat, il est à l’origine d’une bise glaciale appelée le vent des Belges. Expression qui titre un chapitre du livre, mais qui a la puissance du titre d’un roman.
Bille de chêne, c’est un véritable plaisir pour le lecteur ardennais. Qu’on soit de la génération de Yanny Hureaux, d’une génération née au XXIe siècle, ou entre les deux, on se reconnaît dans ces lignes écrites avec plein de drôleries et de poésie.
Bille de chêne peut-il être considéré comme un ouvrage de littérature régionale populaire et de qualité ? Que oui ! Et pas qu’un peu ! Il lui manque à l’heure où ces lignes sont écrites le format poche et son prix pour être encore plus populaire au sein des programmes des classes de français dans les collèges et lycées du département.
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La Cacasse littéraire ? Ça se mange ? Non, ça se lit (en mangeant si vous voulez). Lisez ici le texte inaugural de cette chronique littéraire.
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