Rencontre du 25 janvier 2019

 

Transcription de l’entretien :

Jérôme Paul : Pour le premier entretien de la Cacasse littéraire, j’ai le grand privilège d’être reçu par Yanny Hureaux, chez lui, à Gespunsart. Monsieur Hureaux, bonjour, merci de me recevoir. La première question est une question très générale, mais indispensable pour la chronique de la Cacasse littéraire. Quelle est votre définition de la littérature régionale ?

Ce n’est pas tellement ma région. C’est mon univers.

Yanny Hureaux : D’abord je n’aime pas ce mot-là. Vous pourriez poser, excusez-moi du peu, la question à Jean Giono, il aurait bondi. Mon grand ami André Dhôtel également. Je sais qu’il y a un certain dédain de ce qu’on appelle le régionalisme qui confine l’écrivain dans cette perspective très locale, alors que je suis persuadé que, dans ce que vous appelez le regionalisme, on peut évidemment atteindre l’universalité.

Alors ce que vous nommez ma région, c’est-à-dire les Ardennes, je vous dirais que ce n’est pas tellement ma région. C’est mon univers. Ce n’est pas du tout du chauvinisme dérisoire. Et vous savez, en observant déjà dans ma rue, dans mon village, je suis persuadé qu’on atteint à l’universalité des êtres. En tout cas, moi je n’en ai pas honte, je n’en suis pas fier non plus pour autant. Mais pour vous donner un exemple d’universalité, quand j’ai écrit mon enfance forestière dans le livre Bille de chêne, à ma grande surprise, j’ai eu énormément de courriers, même de gens du Midi, même de Corse, qui s’y reconnaissait. Quand je fais un livre où je raconte la tragédie de mes aïeux ici, sous l’occupation allemande en 14-18, je pense que ce qu’ils vivent, c’est ce que vivent toutes les …, tant qu’il y aura de l’histoire, donc des guerres, tant qu’il y aura des hommes, il y aura des guerres, c’est ce que vivent tous les gens qui ont subi où que ce soit sur la planète, l’occupation militaire.

Jérôme Paul : Je suis tout à fait d’accord avec vous…

Yanny Hureaux : Je ne vous demande pas d’être d’accord avec moi…

Jérôme Paul : Non, mais je suis d’accord avec vous pour ce qui est d’un texte bien écrit, qui vient du cœur… il peut être ancré dans sa région tout en ayant une portée universelle. Est-ce que c’est seulement cet ancrage ardennais qui fait que certains parlent de littérature régionale ?

Je ne me pose pas de question.

Yanny Hureaux : Je ne sais pas. Vous savez, moi, je ne suis pas un intellectuel. Je ne me pose pas de question. Quand j’écris, je ne me pose pas de question, à savoir si c’est régionalisme, si ce ne l’est pas, si c’est si, si c’est ça. Je vous redis que, très humblement, et à mon humble niveau, je n’ai aucune gêne de m’être, non pas englué, mais de m’être souvent d’ailleurs éclaté, au bon sens du terme, dans mon environnement, dans ma région. L’autre jour, j’ai dit à un de vos confrères journalistes, que les Ardennes étaient pour moi une planète, et que, avant ma mort qui ne va pas tarder, car j’approche de 80 ans, je n’arriverai jamais à la connaître entièrement. Et mon univers, c’est, fondamentalement, la capitale, là où je vis, c’est mon village qui est celui de mes aïeux. Les Hureaux sont quand même ici depuis quatre siècles. Ça commence à compter. Je parle le patois du village. Mes maîtres à penser sont mes vieux copains d’école qui n’ont pas eu la chance de pouvoir faire des études, qui ont trimé à l’usine toute leur vie. Si vous voulez, pour moi, ce sont des êtres beaucoup plus considérables que, par exemple, les ministres.

J’essaie d’écrire avec eux et pour eux.

Jérôme Paul : Mais est-ce que vos camarades lisent des auteurs de la région ?

Yanny Hureaux : Qu’est-ce que ça veut dire ? D’abord pour lire, il faut… quand vous dites mes camarades… soyons clairs… Ils ont mon âge. J’ai été à l’école avec eux. Et c’était une époque où, quand on avait 14 ans, on quittait l’école et on allait trimer à l’usine. Et ce n’était pas rien comme travail. Ils ont trimé toute leur vie. Je ne pense pas que la plupart d’entre eux lisent beaucoup. Parce que pour lire, comme vous dites, il faut… c’est une démarche intellectuelle, faut avoir fait des études. Je vais vous donner une anecdote à ce sujet, qui me semble significative. Quand récemment le journal l’Ardennais et l’Union ont publié un livre pour rendre hommage aux 25 ans de Bequette…. Ces livres étaient en vente dans les maisons de la presse et dans les librairies. Eh bien, certains, que vous nommez mes camarades, ont dit : « On achètera le livre dans une maison de la presse, parce que la librairie, c’est pas pour nous. » Vous comprenez ce que je veux dire ? Alors ma démarche, mon humble démarche, c’est … en tout cas je ne sais pas s’ils lisent des livres, mais en tout cas ils lisent mon billet quotidien. Ils s’y reconnaissent, parce que j’essaie d’écrire avec eux et pour eux. Humblement. Et en tout cas, ils s’y reconnaissent. Et j’ai un courrier monumental, des Ardennais de toutes conditions. Et vous seriez surpris, tout à fait surpris de la qualité, non pas littéraire, mais humaine et humaniste de ces courriers.

Un regard d’écrivain

Jérôme Paul : Et justement, votre Beuquette, est-ce que vous cherchez, quand vous l’écrivez quotidiennement, à faire œuvre littéraire ? Ou pas du tout ?

Yanny Hureaux : Mais non ! J’ai toujours dit, moi, enfin je respecte vos questions. Mais je vous redis que je ne me pose pas de question. Je pense que si un écrivain, quel qu’il soit, se pose des questions, on n’en sort plus. C’est du nombrilisme. Ce qui est vrai, ce n’est pas moi qui le dis, c’est Gilles Grandpierre qui, dans ce livre, me présente et présente l’histoire de la Beuquette, il dit que la Beuquette, et c’est ce que le journal voulait au départ, il y a 25 ans, c’est un regard d’écrivain. Cela signifie que cela doit être écrit… je ne dis pas que mes amis journalistes ne savent pas écrire, je n’ai jamais dit ça, mais ils écrivent dans un langage de journaliste, c’est leur boulot. Alors que moi, on me demande d’écrire, entre guillemets, c’est-à-dire d’avoir une approche peut-être plus littéraire, et c’est ce qui fait l’originalité de la Beuquette. Mais encore une fois, je ne me pose pas de question. La seule question que je me pose, c’est de me dire : Est-ce que c’est lisible, pour tout le monde ? Est-ce que c’est lisible, pour tout le monde ? Le grand maître en la matière, c’est quand même Simenon – vous avez le droit de ne pas l’aimer – mais c’est à la portée de tout le monde. Et ça c’est considérable. Alors la seule question que je me pose… d’abord est-ce que ça tient debout… et puis c’est un travail très dur, c’est presque aussi angoissant que l’écriture d’un roman parce que je suis seul. Je suis seul, j’envoie mon article, et je me dis toujours : Qu’est-ce que ça vaut ? Est-ce que c’est ci, est-ce que c’est ça ? Je ne suis jamais censuré. J’ai carte blanche. Mais c’est une tâche monumentale et très difficile. Et je vous dis, la seule question véritable que je me pose… les deux seules questions : Est-ce que ça tient debout ? Est-ce que c’est lisible ?

D’André Dhôtel au club de football de Sedan

Jérôme Paul : C’est très clair ! Je voudrais maintenant passer à d’autres auteurs régionaux. Est-ce que vous pouvez me parler d’un auteur du passé que vous appréciez particulièrement ?

Yanny Hureaux : Oh, vous savez, moi, j’ai eu la chance de connaître de très grands écrivains. J’étais l’ami d’Antoine Blondin. J’étais l’ami d’Yves Gibeau. C’est Blondin qui m’a demandé d’écrire Bille de chêne. J’ai parlé un jour de mon enfance forestière, il m’a dit « Il faut que tu fasses un livre de ça. » Je l’ai fait dix ans après qu’il me l’a dit. Encore une fois vous me rebalancez le mot ‘régional’. Moi j’étais très ami, et c’était mon maître… j’étais très honoré de l’amitié d’André Dhôtel. Alors c’est vrai que Dhôtel, on peut le cataloguer comme écrivain des Ardennes, mais il a atteint une universalité… peut-être parce qu’il n’était pas un écrivain de l’Ardenne. Vous savez, c’est très curieux, mais André Dhôtel était un… les Ardennes de Dhôtel sont avant tout des Ardennes imaginées. C’était dans son pays, autour d’Attigny, où il me recevait d’ailleurs… mais… Je ne l’ai pas connu mais il y avait un écrivain qui était vraiment, au sens où vous vous attachez à le dire, qui était un écrivain régionaliste, pour qui la région était sa matière, c’était Jean Rogissart, que je n’ai pas connu, que, bien entendu, j’ai lu, qui est aussi un écrivain d’une époque, qui avait un engagement politique certain, c’était son droit. Ça, c’est un écrivain régionaliste. Alors est-ce que je le suis… peut-être… je n’en sais rien, moi, vous savez, je n’ai pas seulement écrit sur les Ardennes. Mais c’est vrai que la Beuquette, c’est enraciné dans les Ardennes. C’est vrai que nombre de mes livres sont ardennais. Mais je suis allé un peu dans diverses directions. Par exemple, j’ai beaucoup écrit sur le club de football de Sedan, l’Odyssée du club de football de Sedan. Parce que c’est quelque chose qui m’a passionné. Et un jour, Blondin m’a dit : « Tu devrais faire un roman autour des footballeurs ouvriers. » Il avait tout à fait raison. Je ne l’ai pas fait. Mais j’ai été très attaché à ce club. J’ai écrit plusieurs livres. Un jour, ça m’a pris comme ça brutalement… J’admirais beaucoup le gardien de but Nicolas Sachy. Et un jour, je lui dis : « Nicolas, je vais faire un livre sur toi. » J’ai fait le livre en deux mois. Ce n’était pas une star comme les grandes stars du PSG aujourd’hui. Mais parce que son odyssée m’a plu.

Tout ce que j’écris, moi, je le vis de l’intérieur.

Jérôme Paul : Et ce livre sur les footballeurs ouvriers, il y a un début ? Vous avez travaillé dessus ?

Yanny Hureaux : Mais je l’ai fait. Je l’ai déjà publié. Avec une préface de Blondin. Il y a longtemps, vous savez je suis vieux.

Jérôme Paul : Mais c’était un livre documentaire ou un roman ?

Yanny Hureaux : Non non non ! Je suis aussi professeur d’histoire. Si vous voulez, c’est très simple… Tout ça, chez moi, ça vient toujours de l’intérieur. Je n’ai pas une approche intellectuelle des choses. Tout ce que j’écris, moi, je le vis de l’intérieur. Mon enfance forestière, je l’ai vécue de l’intérieur. J’ai fait Bille de chêne. L’occupation de la guerre 14-18, je ne l’ai évidemment pas vécue puisque je suis né en 39…

Jérôme Paul : C’est devenu Pain de suie.

Yanny Hureaux : Oui. Ma grand-mère et ma grand-tante Julienne, veuve de guerre, m’en ont tellement parlé dans mon enfance. On m’a tellement inculqué la haine du Boche. C’était leur mot, à elles. J’ai vécu tout ça de l’intérieur et j’ai éprouvé le besoin d’en faire un livre. Alors le club de foot de Sedan… Je sais le dédain des intellectuels pour ces choses-là, vous savez… Je connais cette musique. Mais le club de foot de Sedan a passionné ma jeunesse comme il a passionné celles de mes camarades ouvriers. C’était une aventure pour nous extraordinaire que de voir la naissance de ce petit club qui naît en gros en 47, et dix ans plus tard remporte la coupe de France. Moi j’ai vécu ça, nous allions à vélo à Sedan par tous les temps. On n’avait pas les moyens d’avoir des places couvertes. On était derrière le but. J’ai vécu ça passionnément. Alors quand j’ai pris de l’âge et que je suis devenu professeur d’histoires, que j’ai commencé à collaborer au journal l’Ardennais. On est en gros en 1970. Je venais de sortir un roman qui avait fait d’ailleurs beaucoup de bruit, et qui n’était pas régionaliste, ce qui va vous décevoir.

De la Prof au Défi de Sedan

Jérôme Paul : C’était La prof.

Yanny Hureaux : La prof. Donc un jour, ça m’a pris comme ça… Vous savez, j’ai dit au rédacteur en chef de l’époque, qui était un personnage considérable, André Viot, je lui ai dit : « Écoutez, ça vient de me prendre, j’aimerais ressusciter l’épopée des footballeurs ouvriers, essayé de la comprendre, en faire en quelque sorte un livre d’histoire. Un regard d’historien et de passionné. » Il m’a facilité grandement les choses, parce qu’il m’a ouvert les portes des grands dirigeants de Sedan, et du grand entraîneur mythique Louis Dugaugez. Et c’est parti comme ça. Et j’ai fait ce livre qui s’est intitulé Le défi de Sedan, qui a été repris après avec une préface de Blondin. Après j’ai fait, quand Sedan a ressuscité, 25 ans après, on m’a demandé de refaire un livre. Car c’était extraordinaire. Sedan, en 1970 s’effondre, donc dégringole la hiérarchie du football. Et miracle en 1999, résurrection totale, ils remontent en ligue 1, ils disputent la finale de la coupe de France. Donc j’ai refait un livre. On me l’a demandé. J’en ai quand même vendu 20 000 exemplaires. Hein, bon ! Alors c’est peut-être du régionalisme ! Ce livre-là a eu une audience d’ailleurs même dans la presse nationale. Et j’étais très lié à ce club, au point tel que lorsqu’ils ont disputé de nouveau la finale en 2005, le président Urano, président du club, m’a quand même invité dans la tribune présidentielle au stade de France. Pour moi, c’est un titre de gloire au moins égal, si ce n’est plus d’ailleurs, que si j’avais le Goncourt.

Franz Bartelt, Françoise Bourdon

Jérôme Paul : Nous avons parlé un peu d’André Dhôtel, de Jean Rogissart, j’en reviens toujours aux auteurs qui ont un ancrage ardennais, donc des auteurs qui parlent des Ardennes. Est-ce que vous pouvez me nommer un auteur actuel qui publie maintenant des ouvrages, des romans, de la littérature qui se passe dans les Ardennes ?

Yanny Hureaux : Ce qui est en porte à faux avec ce que vous dites depuis le début, c’est mon ami Franz Bartelt. Au sens où 1) il n’est pas ardennais, 2) il vit dans les Ardennes. Et dans certains de ses romans, il y a une imprégnation ardennaise. Et notamment dans son dernier roman policier où il joue avec les relations, avec le cocasse avec les Ardennes Belges. Mais ce n’est pas un régionaliste, pour reprendre votre expression. Alors, vous avez Françoise Bourdon, dont j’ai vécu les débuts, qui s’est exilée…

Jérôme Paul : Dans le sud de la France…

Yanny Hureaux : … dans le sud de la France. Et qui visiblement s’attache à attirer un public plus nombreux, plus aisé, qui est le public du midi de la France.

La grande époque régionaliste

Yanny Hureaux : La grande époque régionaliste, pour encore une fois marteler ce mot qui vous est cher, la grande époque régionaliste, je ne l’ai pas connue, c’était celle de Rogissart, Jean Rogissart, qui est mort je crois en 1961-62, et avant, vous avez eu le grand pionnier du régionalisme ardennais, c’est Jean-Paul Vaillant qui en 1925 a créé la Société des Écrivains Ardennais. C’est un homme extraordinaire que je n’ai malheureusement pas connu. Je n’ai de lui, mais je connais bien en revanche son fils, Philippe Vaillant, que peut-être un jour vous pourriez aller interviewer pour qu’il vous parle de l’œuvre de son père. Jean-Paul Vaillant, quand la Société des Écrivains Ardennais, dont il était le fondateur, avait publié mon premier roman L’été de la Saint-Martin, je le lui ai fait parvenir, bien entendu, et peu de temps avant sa mort, il m’a envoyé une critique curieuse de ce roman qui s’achevait par : « Méfiez-vous de votre facilité, ce sera votre problème. »

Jérôme Paul : Très bon conseil !

Yanny Hureaux : « Méfiez-vous de votre facilité, ce sera votre problème. » Mais c’est un homme… je vénère l’œuvre, c’est un grand pionnier. Il a créé la Société des Écrivains Ardennais. Il a fondé la revue La Grive qui est une revue régionaliste que vénérait Giono, vous m’entendez, hein ! Et dans laquelle il a fait…. Moi j’aurai rêvé de poursuivre cette revue. C’est lui qui a révélé Rimbaud l’Ardennais. Il a créé la Société des Amis de Rimbaud. Voilà, ça, c’est du régionalisme. Pur et noble.

Jérôme Paul : Alors est-ce que vous pouvez redéfinir…

Yanny Hureaux : Mais pourquoi est-ce que ça paraît aujourd’hui, un peu dans votre esprit, ringard ?

Jérôme Paul : Pour moi, ce n’est pas ringard du tout !

Yanny Hureaux : Je vous crois ! Mais je ne vous reproche rien ! Maintenant, je comprends tout à fait que… mais vous devriez essayer de retrouver les exemplaires de la Grive, fondée par Vaillant. C’est extraordinaire ! Il y a des témoignages de Cocteau, il y a des témoignages de grands écrivains. Et tout ça rassemblé autour du mot Ardennes, avec, en plus une autre chose qu’il a accomplie, c’est l’union des écrivains des Ardennes françaises, belges et luxembourgeoises. Et un jour, André Dhôtel m’a dit : « Par respect pour l’œuvre de Jean-Paul Vaillant, j’aimerais que tu relances la Société des Écrivains Ardennais. » Je m’y suis échiné pendant 15 ans. J’étais secrétaire général, j’ai organisé des congrès, etc., parce qu’André Dhôtel qui était le président de cette société m’a demandé de le faire dans le culte de la mémoire de Jean-Paul Vaillant.

Jérôme Paul : J’ai utilisé plusieurs fois le mot de ‘littérature ‘regionale’, mais c’est peut-être par défaut d’un autre terme, une autre façon, une autre expression pour parler d’écrivains enracinés dans les Ardennes. Et qui, dans leur œuvre, d’une manière ou d’une autre, soit de façon très présente, soit en arrière-plan, parlent des Ardennes. Le terme ‘régionalisme’ est….

De moins en moins d’auteurs ardennais

Yanny Hureaux : Le problème… il y en a de moins en moins [des auteurs ardennais]. Justement, parce qu’il y a cette pierre d’achoppement, pour eux, qui est de dire… tiens ça me limite trop, c’est restrictif, et même un peu péjoratif. Même au niveau des grands éditeurs parisiens, j’ai quand même eu la chance d’être édité chez Julliard

Jérôme Paul : Et chez Lattès…

Yanny Hureaux : Et chez Lattès, j’ai été très surpris que ce soit pris parce qu’à première vue ça paraît comme… même pour eux… sur le marché… parce qu’un éditeur, faut bien qu’il vende… sur le marché, c’est forcément limité. Vous comprenez ce que je veux dire ?

Pas de conseil !

Jérôme Paul : Mais quel conseil pourriez-vous donner à un jeune écrivain ardennais pour sortir de ce carcan, de cette boîte du mot ‘régionalisme’ ?

Yanny Hureaux : D’abord je ne donnerais pas de conseil. Il m’arrive souvent d’avoir des Ardennais qui écrivent qui m’envoient leur manuscrit, que je lis toujours attentivement. Des conseils, je n’en donne pas, parce que bon… mais je leur dis ce que je pense de la lecture… Quoique… je rêverais qu’un jour, je puisse en découvrir un et qui arrive à avoir de l’audience. Vous avez un écrivain que vous devriez me semble-t-il aller voir, c’est Guy Féquant, C’est un personnage, je vous préviens tout de suite. Qui est du sud des Ardennes, du Rethelois, qui écrit des livres… ça c’est vraiment en porte-à-faux avec ce que vous dites, parce qu’il renie son pays et en même temps il ne peut pas s’empêcher d’en parler. Et en plus, c’est une très belle plume. Mais il me reproche que je participe à ce qu’il appelle la littérature Cacasse à cul nu. Vous voyez ? Moi, je m’en fous ! Moi, je n’ai aucune honte… Tenez pour prendre encore dans votre registre… Ah, on lit le Monde, on lit le Figaro, on lit le Soir, on lit Het Laatste Nieuws, mais l’Ardennais ! Comment peut-on écrire dans l’Ardennais ? Eh beh moi, cher monsieur, j’en suis fier. Et j’y tiens, parce que c’est le journal du terroir. Ça n’empêche pas d’essayer d’écrire pour ailleurs.

Jérôme Paul : Alors vous ne donnez pas de conseils aux jeunes écrivains…

Yanny Hureaux : Comment peut-on donner un conseil ? Un peintre, Jean-Paul Surin, une grande réputation, qui est ardennais… Il me disait ça, l’autre jour, quand des jeunes viennent le voir : « Qu’est-ce que tu veux que je donne comme conseils ? » Et moi, vous pouvez m’imaginer donnant un conseil… alors si, je donne parfois un conseil. J’écris en disant, pour reprendre l’expression chère à Cocteau : « Dégraissez ! » C’est-à-dire, il me semble que vous diluez un peu trop, hein ? Mais ça s’arrête là ! Après tout, s’il a envie d’écrire sur les Ardennes, il écrit sur les Ardennes, s’il n’a pas envie, il n’écrit pas.

Je suis entré par hasard dans la littérature.

Yanny Hureaux : Vous savez moi je suis entré par hasard dans la littérature. Je n’ai pris jamais ça au sérieux. Vous savez comment ? Une anecdote un peu marrante… régionale, soyez rassuré. C’est régionaliste, soyez rassuré ! Donc un jour, le journal l’Ardennais en 1968-1969, organise un concours du meilleur conte de Noël. Vous connaissez l’histoire ?

Jérôme Paul : Non !

Yanny Hureaux : C’était les vacances de Noël. Vous savez, le métier de prof, c’est avant tout un métier où l’on s’ennuie. C’est ça, le grand problème des enseignants, c’est l’ennui. Donc, tiens je vais m’amuser. Je vais envoyer une nouvelle courte au journal. C’était ouvert à tout le monde. Je fais un conte de Noël. Très ardennais ! Et ce conte, je l’envoie au journal, dans les délais prévus. Le résultat apparaît. Je n’étais pas dans les gagnants, je n’étais pas dans les trois premiers, mais c’est tout, ce n’était pas une question d’orgueil ou quoi, c’est tout. Et, peut-être dix jours après la proclamation des résultats, et la remise des lauriers, je reçois un mot du rédacteur en chef disant : « Cher monsieur, votre conte a été mis hors concours, j’aimerais vous rencontrer. » C’était le grand André Viot [note corrective de Yanny Hureaux : « Il s’agit de Pol Chaumette, rédacteur en chef de l’Ardennais et adjoint d’André Viot. C’est lui qui était chargé de l’organisation du concours »]. Je vais à l’Ardennais. C’était l’époque du journalisme régional triomphant, ça va vous plaire. Un personnage extraordinaire. Il me dit : « Hureaux, vous êtes fait pour écrire, vous avez un talent, il le faut absolument, vous allez collaborer. J’aimerais que vous collaboriez au journal. » Mais je dis : « Qu’est-ce que vous attendez de moi ? » « Mais faites au début, on verra bien, des critiques de livre ou bien des choses un peu littéraires. » J’ai accepté tout de suite. J’étais très content. Et, l’histoire de ce conte n’est pas finie, parce qu’une femme écrivain, considérable à mes yeux, Eva Thomé, qui était une Ardennaise, héroïne de la résistance, agrégée de philosophie, Eva Thomé découvre le conte, et sans me le dire, l’envoie à Dhôtel. Dhôtel m’écrit en me disant : « Vous êtes fait pour écrire. » Alors, c’est là que j’ai entrepris un roman. On est dans les années 1970 je crois, 69 peut-être. L’été de la Saint-Martin. Qu’André Dhôtel et Eva Thomé m’avaient demandé de faire pour la Société des Écrivains Ardennais. Eva Thomé me dit : « Beh écoute, avant qu’on l’édite, envoie-le à deux trois éditeurs parisiens. » À ma grande surprise, j’avais reçu des lettres d’encouragements, ils n’ont pas pris le manuscrit. Et le livre est sorti comme ça, ça a été mon premier roman. Vous voyez l’histoire ! C’est tout à fait par hasard !

Vous tapez sur un point sensible.

Jérôme Paul : Très bien. Monsieur Hureaux, je vous remercie beaucoup. Un dernier mot, peut-être, est-ce que vous, en dehors de la Beuquette, est-ce que vous avez d’autres projets d’écriture ?

Yanny Hureaux : Ça, là, vous tapez sur un point sensible. J’ai eu d’énormes problèmes de santé. J’ai pu mener la Beuquette en même temps que l’écriture d’un livre pendant un certain temps, mais maintenant je ne peux plus. La Beuquette m’accapare trop. Je vous dirais franchement que je souffre de ne pouvoir pas faire un autre livre. Bien des lecteurs me le demandent. Bon, je vais sur 80 ans. Je vous dis, j’ai eu des gros problèmes de santé. Vous savez, écrire un livre. Ça accapare aussi. Je n’arrive pas à mener les deux choses de front. Et en même temps… la Beuquette, c’est une folie ! C’est tout simplement une folie, 25 ans comme ça. Par moments, je vous assure, j’ai le vertige. Je me dis, mais qu’est-ce qu’il t’a pris de te mettre là-dedans. Et en même temps, c’est, si vous voulez… pour prendre une anecdote sans vanité aucune, il m’arrive d’aller comme tout le monde avec ma femme dans les grandes surfaces faire des courses, les gens me tombent dessus, me reconnaissent parce qu’on voit ma photo des fois dans le canard, ils me disent : « Il faut continuer ! Faut continuer ! »

Jérôme Paul : Et c’est ça qui vous fait tenir ?

Yanny Hureaux : Je vous dis, c’est de la folie douce, c’est comme ça !

Jérôme Paul : Bon, j’espère que cette folie va durer encore longtemps. Monsieur Hureaux, je vous remercie beaucoup.

Yanny Hureaux : Mais je vous en prie.

Jérôme Paul : Et à une autre fois peut-être.

 

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