Même si les auteurs ardennais vendaient leurs livres sur les marchés, échanges directs de l’écrivain aux lecteurs, ou plus crûment puisqu’il s’agit aussi d’un échange commercial, directement du producteur aux consommateurs, il n’en resterait pas moins que nos librairies auraient toujours un rôle extrêmement important à jouer dans la diffusion des Lettres Ardennaises. Ne serait-ce parce que les librairies sont ouvertes six jours sur sept, qu’elles peuvent présenter plusieurs auteurs à la fois, que leur stock est en principe à l’abri des intempéries. Malheureusement, la librairie est une espèce assez rare en ce moment. Il faut les protéger, par exemple en évitant les grandes surfaces de distributions. Mais qui aime bien, châtie bien : soyons vigilants afin que les librairies ne manquent pas à l’une de leurs fonctions, c’est-à-dire la bonne promotion des écrivains des Ardennes.
Examinons donc une librairie ardennaise, prenons la Libraire Carnot, rue du même nom à Sedan. J’aurai pu passer une journée entière à analyser comment cette librairie travaille à la promotion des Lettres Ardennaises. Mais comme un lecteur ardennais lambda ne va pas y passer non plus la journée, une bonne demi-heure de visite a été grandement suffisante pour me faire une idée de l’attention portée par la Librairie Carnot aux Lettres Ardennaises. Par ailleurs, je leur ai envoyé à deux reprises un courriel avec quelques questions, mais je n’ai pas eu de réponses (si la Librairie Carnot se réveille et me contacte, je suis évidemment prêt à ajouter quelques lignes à cet article).
Chaque librairie dispose de plusieurs espaces thématiques pour organiser les livres : Littérature générale, Livres de poche, Livres pratiques, Livres pour la jeunesse, et traditionnellement dans les librairies de province un espace Régionalisme.
Etat des lieux au rayon Littérature générale et au rayon Livres de poche
Avertissement 1 : je n’ai peut-être pas vu tout ; avertissement 2 : c’est le constat d’un jour (tout peut changer en fonction des arrivées et des départs de livres, et peut-être de l’actualité…
Je n’y ai pas vu grand-chose : Un balcon en forêt, de Julien Gracq, une grande partie des livres de Franz Bartelt (les Ardennais et les autres), les deux romans de Patrick Fischer-Naudin autour d’Orval, et parce que le simple nom de Rimbaud fait vendre, il y avait aussi en rayon Les chevaux de Rimbaud, d’Alexandre Blaineau. Les deux tables servant de présentoir pour la littérature générale ne comportaient malheureusement aucun livre de fiction ancré dans les Ardennes. Peut-être qu’à l’époque de mon passage (novembre 2019), l’actualité ne s’y prêtait pas…
Du côté des livres de poches, il y a encore du Bartelt, très populaire, mais aussi du Françoise Bourdon (avec trois des quatre romans ardennais). Enfin, en stock suffisant : Le pays où l’on n’arrive jamais d’André Dhôtel. J’ai sans doute raté d’autres titres relevant des Lettres Ardennaises. Mais ceux-ci étaient perdus parmi les autres ouvrages.
Etat des lieux au rayon Régionalisme
Dans les rayonnages, une foule d’ouvrages : des témoignages, des études et des livres d’histoires locales, des livres pratiques (cuisine), des Beaux Livres avec de belles photos et quelques revues. Il y a les publications des rares éditeurs ardennais (Terres Ardennaises, Noires Terres). Mais pas de fictions, pas de romans (peut-être un ouvrage à compte d’auteur bien caché – Tony Corblin Tout le monde descend et d’autres que je n’ai pas remarqués).
Les seules histoires de fiction que l’on peut trouver au rayon régionalisme, ce sont deux livres de contes et légendes ardennaises : Contes et légendes des Ardennes de Czmara et Lovato, et l’Ardenne fantastique, légendes de la Forêt chez l’éditeur belge Weyrich.
Le présentoir est agréable à parcourir avec les belles couvertures d’ouvrages très intéressants, mais qui n’apporte pas d’eau à mon moulin à fictions régionales. Enfin, il y a l’inévitable Rimbaud, qui sert de caution littéraire au reste.
Le rayon Régionalisme semble fonctionner comme un rayon thématique non fictionnel au même titre que le jardinage, la cuisine, l’histoire, l’éducation, la psychologie, les passe-temps, les conseils aux jeunes mamans…
Une extension très importante du rayon Régionalisme, c’est la vitrine de la librairie : une partie est consacrée aux Ardennes : des livres de cuisine ardennaise et d’autres Beaux Livres – une vitrine qui allait être partiellement modifiée dont je n’ai pas vu le résultat.
Suggestions et conclusion
Le régionalisme ne semble pas vraiment connaître la littérature que certains nomment de terroir ou régionale, que nous préférons appeler Lettres Ardennaises et qui offrent de la fiction ancrée dans l’aire géographique des Ardennes. Certes, ces Lettres Ardennaises ne courent pas les rues, mais il y en a suffisamment pour couvrir le moindre des présentoirs de livres. Si les librairies n’en font pas une promotion visible, comment voulez-vous gagner de nouveaux lecteurs.
La librairie Carnot de Sedan n’est pas un cas désespéré, mais il y aurait quelques améliorations à mettre en place.
Une librairie n’est pas un commerce comme un autre : elle a sa part de responsabilité dans la diffusion de la culture qu’elle soit internationale, nationale ou régionale. Les librairies en région doivent se faire aussi le porte-parole de la production littéraire locale, si faible soit-elle.
Comment ? Voici la principale suggestion que je voudrais faire (et je ne parlerai pas des animations comme des signatures ou des lectures) : faire en sorte qu’il y ait une présence réelle et exhaustive des fictions ardennaises dans les trois zones précédemment citées ; cela veut dire des exemplaires au moins en double afin que la zone Régionalisme et la zone Littérature général/Livres de poches soient fournies. Un amateur de livres sur les Ardennes furetant dans le rayon Régionalisme devrait pouvoir y trouver tout ce qui a trait aux Lettres Ardennaises, aussi bien les romans ardennais de Françoise Bourdon que ceux de Franz Bartelt.
Et il ne faudrait pas uniquement se contenter des dernières parutions ; où sont les ouvrages de Jean Rogissart ? Et si vous voulez du plus contemporain, où sont les polars de Fabrice Paulus ? Il faut mettre en place une véritable politique de fiction ardennaise et proposer aux visiteurs de la librairie un maximum de titres en rayons et sur les présentoirs. Encore deux petites remarques : pourquoi ne pas placer de la fiction ardennaise sur les deux tables présentoirs à l’entrée du magasin, parmi les actualités nationales (parisiennes ?) et internationales, et pourquoi ne pas mettre en évidence chaque mois un titre ardennais près de la caisse ?
Ces quelques efforts seraient sans aucun doute bénéfiques pour la librairie, aussi bien en termes de positionnement culturel régional qu’en terme financier. C’est aux acteurs du livre et des Lettres Ardennaises de faire les premiers pas vers les lecteurs si on veut créer un cercle vertueux.
Jérôme Paul – 11 janvier 2020
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