« Le mystère de la mort de John Fitzgerald Kremery » est un roman de Pierre Linette publié en 2002. Je ne pense pas qu’il soit disponible en librairie, mais les bonnes bouquineries ardennaises en ont peut-être encore un ou deux exemplaires en rayon. C’est à la librairie Turenne à Sedan que j’ai acquis mon exemplaire. On peut aussi jeter un coup d’œil sur internet, par exemple sur la bouquinerie en ligne Racine d’Ardennes.
L’action du roman s’ancre à Attigny et dans ses proches environs. L’époque, le début des années soixante, permet à l’auteur de peindre un Attigny plusieurs années en arrière où, par exemple, les boues liquides issues du lavage des betteraves de la Sucrerie étaient jetées dans les prés avoisinants, formant une sorte de marécage appelé (dans le livre) le ‘Croli aux fées’.
Clément, un futur notaire presque marié, rendant visite à ses grands-parents de Charleville, se trompe de correspondance à la gare de Rethel et se retrouve forcé d’atterrir à Attigny. Il y atterrit au sens maritime du terme, comme un marin qui accoste une île et y reste un temps. L’étranger finit par se mêler à la population jusqu’à en oublier quasiment son passé et à s’y créer une autre vie, en ayant en tête l’idée de résoudre la mort mystérieuse de ce monsieur Kremery. Mais cette enquête laisse très vite la place à une quête plus personnelle.
Le titre est trompeur. Avec un tel jeu de mots (de noms), on s’attend à lire un polar, et on peut s’irriter dans les premières pages des hésitations sentimentales du personnage principal. S’il y a donc bien tout au long du roman une enquête, celle-ci n’est en fait qu’un support de base à une autre intrigue, beaucoup plus intéressante, faite de mystères frisant la féerie. A certains passages, Pierre Linette opère avec brio des glissements qui font passer le lecteur du prosaïque vers le merveilleux. Mais alors pourquoi avoir choisi un titre qui ne colle pas vraiment avec le livre ? Bref, passons… Pierre Linette s’inscrit tout entier dans la filiation d’André Dhôtel. On retrouve dans son livre des traces de quotidien accompagné de merveilleux, une grande place est accordée à la nature et aux rencontres improbables. Le nom et le personnage d’André Dhôtel sont d’ailleurs plusieurs fois mentionnés. À propos du « Pays où l’on n’arrive jamais », Pierre Linette parle d’« un monde à l’intérieur d’un autre monde, un pays à l’intérieur d’un autre pays » et indirectement cherche à reproduire le modèle, mais selon moi, il serait plus exact de dire que l’on a affaire à deux mondes qui seraient parallèles et pas tout à fait hermétiques l’un à l’autre.
Maintenant se pose la question de la littérature régionale : le livre de Pierre Linette s’inscrit-il dans le paysage littéraire régional ? D’un point de vue administratif oui, puisqu’il est situé dans le 08. Mais un habitant de Givet se reconnaîtra-t-il dans cette histoire qui se déroule à Attigny ? Pas sûr ! Sauf si ce Givetois ou cette Givetoise connaît Attigny pour y être allé(e) suffisamment, de façon à ce que le lieu fasse partie de près ou de loin de son patrimoine privé. Une autre possibilité de reconnaissance d’un habitant de Givet dans les écrits d’un Attignatien serait le partage de valeurs régionales communes. Mais existent-elles ? Y a-t-il des valeurs régionales propres aux Ardennes ? Et si oui, sont-elles (hormis la galette au sucre) perceptibles dans les ouvrages littéraires écrits sur et dans le département ? Une autre solution serait le sentiment de proximité, assez vague et tout relatif, mais parfois suffisamment fort pour faire en sorte qu’un habitant du fin fond de la Vallée de la Meuse apprécie le récit produit par un natif des limites de la Champagne Pouilleuse. Sedanais, je peux me sentir proche du territoire d’Attigny parce que j’y ai mis plusieurs fois les pieds, et surtout les pieds sous une bonne table chez des amis. Cela renforce beaucoup ce sentiment de proximité.
Ce roman de Pierre Linette est-il un livre de littérature régionale ? Bien sûr que oui, même si cela dépend de ce sentiment de proximité. Est-il populaire ? Il est très accessible à la lecture. Les quelques coquilles de l’édition seront vite oubliées grâce aux dessins réussis de l’auteur qui illustrent l’histoire.
Les íllustrations sont tirées du livre de Pierre Linette. Merci à l’auteur à qui je n’ai pas demandé la permission de les utiliser.
Vous ne connaissez pas encore la Cacasse littéraire ? Réparez cette erreur et lisez le texte qui ouvre cette série de chroniques consacrées à la littérature régionale populaire et de qualité :
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