Pour cette nouvelle aventure, Raoul Demeusardancourt a conduit Sidonie Toutenbloc non loin de la Vallée de la Meuse, sur les hauteurs de la Semoy. Si elle est curieuse, Mademoiselle Sidonie reste cependant une adolescente difficile à contenter. Espérons que le Professeur saura l’étonner.
Sidonie : C’est bien joli, Professeur, tous ces cailloux, mais pourquoi nous as-tu conduits là, alors qu’on pourrait se reposer les guiboles à la maison ?
Raoul : Pour vous raconter une légende, mademoiselle Sidonie.
S : Les légendes, moi, je m’en méfie comme d’une sucette trop parfumée. Et d’abord, où sommes-nous ?
R : A Roc la Tour !
S : Ça swingue ! C’est un groupe de musique pop ?
R : Pas du tout, c’est cet ensemble de rochers au-dessus de la Semoy.
S : Bon, d’accord, la sculpture a de la gueule ! Mais quoi d’autre ?
R : La légende, mademoiselle, la légende !
S : Une histoire d’amour contrariée, un audacieux en bute à la société et qui finit par trébucher, ou encore un truc avec le Diable !
R : Parfaitement, avec le Diable !
S : Comment il est, ton Diable ?
R : En colère !
S : Bon, ça commence à m’intéresser.
R : Bien, figurez-vous…
S : … il y a très longtemps …
R : Vous connaissez l’histoire ?
S : Non, allez, vas-y ! Je vais tâcher de me taire et d’écouter.
R : Donc… Vivait dans les Ardennes, un seigneur un peu désargenté…
S : Tous les mêmes ! Ça la joue grand de la haute, ça s’impose, et ça n’a pas un rond !
R : Sidonie !
S : Excuse-moi, Professeur, continue.
R : Donc, il y avait un seigneur tellement amoureux de sa belle qu’il décida de lui offrir un château où elle serait à son aise, et surtout à l’abri du reste du monde, sur les hauteurs de la vallée de la Semoy.
S : Il voulait se la garder pour lui tout seul !
R : Mais le Diable rôdait alentour.
S : Qu’est-ce que je te disais…
R : Oh, mademoiselle, doucement. Le diable ne s’intéresse pas à l’amour.
S : Mais à quoi s’intéresse-t-il alors ?
R : Aux âmes ! Et particulièrement à celle du seigneur bâtisseur. Il vit, dans le projet de ce château, l’occasion d’acquérir une âme facilement.
S : Et comment procéda-t-il ?
R : Il offrit au seigneur de lui construire le château en échange de son âme.
S : Oui, mais le seigneur n’est pas fou.
R : Détrompez-vous, Sidonie, il est amoureux fou. Cependant, il garde les pieds sur terre. Il accepte à la condition expresse que le château soit construit en une seule nuit, du coucher du soleil au chant du premier coq.
S : Et le diable accepte ?
R : Il est joueur. Il fait alors appel à une armée de créatures malignes. Tous les démons des Ardennes sont réquisitionnés, les sorciers et les sorcières de même, les gnomes itou…
S : Et les lutins ?
R : Les lutins aussi. Les lutins n’y vont pas de bon cœur, mais que voulez-vous ? Devant l’appel du Malin, certains sont malheureusement pragmatiques. Le Diable n’oublie pas non plus les créatures fantastiques du Massif ardennais.
S : Tu veux dire tous les monstres de l’Ardenne ?
R : Oui, et il y en a beaucoup !
S : Quelle armée de bâtisseurs !
R : Qui s’activent dès que le soleil a disparu à l’horizon. Le château prend forme. Les murailles sont rapidement construites. Le logement du seigneur et de sa belle est en cours de finition. On commence à élever les tours.
S : Oh la la !
R : Comme vous le dites, mademoiselle. Le seigneur était en train de voir son âme dans les mains du Diable.
S : Et ça, ça ne vous a pas trop plu.
R : On ne peut rien vous cacher, Sidonie. Figurez-vous que mon chapeau haut de forme s’était mis à trembler de façon bizarre.
S : Bref, tu as mis tes lunettes spatiotemporelles, tu as éclairé l’espace et le temps avec le rayon révélateur de ta lampe torche spéciale, et tu as su où et quand ça se passait. Tu es donc allé faire un tour de ce côté-ci avec notre dirigeable à remonter le temps. Là, tu as appris l’enjeu de ce pari, et tu as agi.
R : C’est-à-dire qu’il s’agissait de sauver une âme et que …
S : … que même s’il nous est défendu d’agir sur le passé lors de nos voyages temporels, un petit coup de pied dans une fourmilière, comme ça, sans l’air de rien, ben, ça dégourdit un peu les jambes.
R : Exactement. Oh, je n’ai pas donné de coups de pied au coq. Du bout de ma canne, je l’ai juste fait tomber de son perchoir. C’était la fin de la nuit, tout près de la construction du château, dans le plus proche village.
S : Le gallinacé s’est cassé la margoulette. Réveillé brusquement, il s’est mis à chanter.
R : Exactement l’effet voulu. Il était moins une. L’aube allait juste éclairer nos Ardennes.
S : Mais alors le diable avait perdu son pari !
R : Ça ne lui a pas plu. Il était si furieux, que de rage il a détruit le château inachevé. D’un seul coup de main, la bâtisse s’est retrouvée à terre, ou presque. Ce que tu vois, c’est le reste, les ruines.
S : Mais dit moi, Professeur. Ça t’arrive souvent de t’immiscer dans les légendes ?
R : Bah, je ne dirais pas souvent, mais …
S : Mais ?
R : Mais ne trouvez-vous pas le résultat charmant ?
S : J’admets. Roc la Tour, ça a de la gueule, et même plus. Tous ces gros cailloux au-dessus de la rivière, c’est franchement sympa. Et pendant qu’on y est …
R : Oui ?
S : Professeur… pendant qu’on y est… Pourrais-tu me dire pourquoi il y a deux façons d’écrire le nom de cette rivière si charmante qui glougloute à nos pieds ?
R : Je ne connais pas l’origine des deux orthographes, mais je peux vous donner un moyen mnémotechnique pour les retenir.
S : J’écoute, et je fais même semblant de prendre des notes.
R : En Belgique, Semois finit par un S qui figure tous les méandres de la rivière. En France, on écrit Semoy avec un Y qui peut représenter l’embouchure de la rivière dans la Meuse.
S : Merci du tuyau. Où va-t-on maintenant ?
R : C’est encore une surprise, ma chère Sidonie.
S : Alors, allons-y !
(c) 2021 Cyril Leclerc (dessins) et Jérôme Paul (texte)
Découvrez les dessins de Cyril Leclerc sur son blog Le Cartooniste.
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