36. Complicité
Nous étions descendus et sortis par la porte d’entrée de l’auberge pour déposer le manuscrit et le disque dans notre véhicule de fonction. Amédé introduisit délicatement les pièces à conviction dans une enveloppe plastique. Il dit :
– Asseyons-nous cinq minutes dans la voiture. J’ai besoin de réfléchir.
Je n’allais pas contrarier le gendarme Madédée dans cet exercice. À peine assis, il ajouta :
– Plus je réfléchis, moins je comprends quelque chose à cette affaire. Et ça me déprime. Pourtant, il me faut réfléchir, je le sens.
– Allez, viens, Amédé, je connais un autre endroit, plus propice à la réflexion.
– Attends une seconde. Oui, là… ça vient… comme un truc, une idée… Oh attends, je la sens venir… oui… la voilà.
– Quoi ?
– Victorine Grumillon.
– C’est elle ton idée, ou serait-ce elle qui te donne des idées, vieux cochon ?
– Non, arrête de raconter des bêtises. Victorine Grumillon, il faut l’interroger. Il faut la faire parler. Elle sait des choses.
– Mais j’ai déjà interrogé toutes les personnes de l’auberge.
– Eh bin non, Antoine. Ta gourmandise t’a encore perdu.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Après le déjeuner, quand je suis allé faire une petite sieste avec Hugo, il n’a pas pu s’empêcher de me faire un résumé de la matinée. D’ailleurs, j’avoue le lui avoir demandé. Il m’a raconté comment tu avais réussi à obtenir de la patronne un bon déjeuner, et alors je lui dis : « C’est tout ? ». Il me répond : « C’est tout, rien sur l’affaire. » Après on a discuté du menu, puis on s’est endormi. Alors Antoine, qu’est-ce que tu en dis ?
Je restai un moment bouche bée, et c’était à mon tour de me lancer dans l’exercice périlleux de la réflexion, du retour sur soi-même, de l’honnêteté et finalement de l’humilité.
– Sacrebleu, mais c’est que tu as raison ! Je n’ai pas interrogé Victorine Grumillon. Viens, on va le faire tout de suite.
– Tu vas voir que la Victorine, elle n’est pas si claire que ça.
– Allez, viens, direction la tonnelle. On appelle madame Grumillon, et Hugo se joint à nous. Avec le grand trousseau de clés de Victor Grumillon, tu fermeras à clé la porte qui donne de la cuisine à la salle à manger de l’auberge.
– Mais qui surveillera les suspects ?
– Ils se surveilleront tout seuls en leur disant que si l’un d’entre eux s’échappe, le reste sera accusé de complicité d’évasion.
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