Au Père-Lachaise ? L’attrait de la capitale est-il si fort que la deuxième enquête du Sanglier se doit d’avoir lieu à Paris ? L’amateur des lettres ardennaises est, à la lecture du titre, tout de suite sur la défensive. Mais qu’il se rassure, l’ancrage régional de ce deuxième polar de Fabrice Paulus est bien présent, même quand son personnage principal se promène à Paris. « Charleville-Mézières est calme. Il ne se passe pas grand-chose. On s’ennuierait presque. » Suivons donc le commissaire Paulus à la capitale. D’ailleurs, on se rend compte au cours de la lecture que la grande ville sert souvent de prétexte au commissaire pour se rappeler les Ardennes. C’est un peu les Ardennes à Paris : comparaisons, différences et détails qui vous ramènent en pensée à votre source. « C’est incroyable… Je me croirais dans les Ardennes. Ces arbres… Ces pierres… Ça me fait tout drôle. ». On est au cimetière du Père-Lachaise. Heureusement que le commissaire Paulus ne s’arrête pas à un cimetière pour se rappeler notre région…

Mais le véritable ancrage ardennais, finalement, se situe ailleurs : dans la littérature avec la figure quasi stéréotypée d’Arthur Rimbaud, et particulièrement avec son poème Voyelles. Et là, l’amateur de polar se réjouit quand l’énigme est exposée : des écrivains sont retrouvés morts au cimetière du Père-Lachaise avec sur le torse une lettre de couleur peinte ; les voyelles colorées du poème de Rimbaud. Quand le commissaire rejoint son ami et collègue parisien qui l’a fait venir en renfort, les corps de quatre écrivains ont déjà été découverts au Père-Lachaise. Le A noir, le E blanc, le I rouge, le U vert, il manque une voyelle pour compléter le poème. Le Sanglier réussira-t-il à résoudre le mystère avant qu’une cinquième victime soit découverte avec un O bleu dessiné sur la poitrine ? Laissons au lecteur le plaisir de découvrir par lui-même ce qu’il en sera.

Au-delà de l’ancrage littéraire, la littérature est finalement le sujet de ce roman. Nous n’avons pas à faire à un essai littéraire, mais plutôt à une ébauche sociologique du monde littéraire français, étudié sous l’angle des auteurs en difficulté d’éditions. Aussi, le lieu, Paris, est obligé, car, malheureusement, en France, où la centralisation fait loi, même les lettres sont sous le joug de ce dictat. Fabrice Paulus n’aurait pas pu placer l’action de ce roman ailleurs. À côté du cimetière, on suit Paulus chez un grand éditeur parisien, et sans vouloir en dévoiler trop, cette visite sera décisive pour la résolution de l’enquête.

Et puis il y a le livre dans le livre : le petit carnet d’aphorismes laissés par le criminel et reconstitués à partir d’ouvrages trouvés près des écrivains morts : prenez un livre, choisissez « ici un article, là un sujet, un verbe, un adjectif, un complément d’objet, de lieu », et « inventer de nouvelles phrases. » Les autres mots sont barrés. Je ne sais pas où Fabrice Paulus a été cherché ces aphorismes (dans sa bibliothèque, dans ses propres carnets), mais ils doivent être lus. Ils traitent parfois de la littérature ou plus généralement de la vie. Le lecteur de polar, souvent pressé, doit un instant changer son mode de lecture et prendre le temps pour ces aphorismes. En voici quelques-uns :

« Les voyages au cours desquels on ne se perd pas sont inutiles. »

« Le plus grand risque, c’est de ne rien oser. »

« Sans les autres, on ne ressemble à rien. »

Avec cette deuxième enquête du Sanglier, on finirait par se faire du souci pour le commissaire qui, tout au long du roman, est sujet à de curieux malaises, à des absences, à un pessimisme inquiétant. Un commissaire encore bien plus sombre que dans la Ferme isolée. Espérons que la troisième livraison des enquêtes du Sanglier sera moins noire et que le commissaire recouvrera la vitalité d’un marcassin. Même si on est dans le polar, tout lecteur aime bien les lueurs d’optimisme et les naïvetés de l’inspecteur Bouchon, le faire-valoir du commissaire.

Avant de finir cette chronique de la Cacasse littéraire, je prendrai la liberté de donner un coup de pied aux fesses aux auteurs ardennais s’ils me lisent. Sans vouloir dévoiler quoi que ce soit de l’Énigme du Père-Lachaise, je peux dire que ce roman n’aurait pas eu lieu d’être si l’un des personnages avait compris que l’écriture d’un livre ne devrait représenter que 50 % du travail d’un écrivain qui veut être lu. Et que les 50 % restant consistent à faire connaître son travail. Ce qu’il faut, comme l’écrit Fabrice Paulus, c’est « attirer l’attention sur son œuvre, par n’importe quel moyen. » Dans le domaine du raisonnable, bien entendu. Mais malheureusement, les écrivains pensent qu’avec le point final d’un roman, leur travail d’artiste est terminé. C’est pourquoi parmi les milliers de plumitifs, de rares génies et de bons artisans des lettres resteront inconnus. Donc Mesdames, Messieurs, brûlez votre costume romantique d’écrivain ignoré, et intéressez-vous à un mot qui au début vous fera peur ou pourra vous dégoûter, je veux parler de marketing. Allez chercher le lecteur, créez l’événement autour de votre livre.

Serait-il si possible de faire naître dans le département un engouement pour la chose littéraire ? Est-ce le pâté Arthur ou la bière Arthur qui vont amener les Ardennais à la lecture ? Paulus peut en douter quand il fait parler l’inspecteur Bouchon :

« – Tu as des livres chez toi ?

– Ma femme en a. Ses livres de cuisine, on ne sait plus où les mettre.

– À part ceux-là, tu en as d’autres ?

– J’ai un livre sur le football…

– Et des romans ? Tu as des romans ?

– Non, aucun. Pourquoi ? Je devrais en avoir ? »

Il y a donc du pain sur la planche (avec le pâté et la bière pour le réconfort). Il faut non seulement se bouger les fesses pour, après s’être fait éditer en région, faire connaître une littérature populaire de qualité, mais il faut aussi faire en sorte que les Ardennais soient aussi fiers et consommateurs des livres made in Ardennes qu’ils le sont de la Salade au lard.

 

 

L’Énigme du Père-Lachaise, de Fabrice Paulus est éditée par Noires Terres (éditeur régional, ça doit être souligné !) Vous pouvez trouver l’ouvrage dans les bonnes librairies et les excellentes bouquineries, ou directement chez l’éditeur : https://www.noires-terres-direct.com/policier/56-l-enigme-du-pere-lachaise-les-enquete-du-sanglier.editeur

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Vous n’avez pas encore lu la première enquête du Sanglier ? Commencez alors par lire la chronique consacrée à La ferme isolée en guise d’apéritif.

La ferme isolée, du commissaire (Fabrice) Paulus