13. Pire que des chars traversant la forêt en 39
Rose Alonde repartit dans la cuisine les larmes plein les yeux. Quelle réputation allait-on me donner ?
– Hugo, veux-tu faire entrer l’aubergiste, s’il te plaît ?
Monsieur Grumillon se présenta avec un plateau sur lequel une cafetière et deux tasses risquaient leur vie. Il y avait aussi deux parts de gâteau.
– C’est du biscuit de Revin, vous connaissez, n’est-ce pas ?
– Non, pas du tout.
– Ah bon ! Vous n’êtes pas des Ardennes ?
– Je suis Lorrain. Seulement depuis deux ans dans les Ardennes.
– Ah ! Le biscuit de Revin est d’hier, mais il est encore bien moelleux, précisa l’aubergiste tout en nous servant.
– Merci, monsieur Grumillon. Veuillez vous asseoir ici. J’ai quelques questions à vous poser. Quand et comment avez-vous découvert le corps inanimé de votre client ?
– Ce matin, vers six heures, quand la Rose s’est mise à hurler. Je suis arrivé tout de suite. Ce n’était pas compliqué vu que j’occupe en ce moment la chambre numéro 2, comme je vous l’ai déjà dit, à cause que ma femme, vu sa corpulence qu’on peut qualifier d’importante, bref, elle ronfle, que c’est pire qu’une division de chars allemands traversant la forêt ardennaise en 39.
– Au fait, monsieur Grumillon.
– Je n’ai pas bien compris tout de suite pourquoi la petite criait. Etait-ce à cause du désordre dans la chambre ? Ou à cause du client étendu complètement à poil sur le lit ? Ou encore parce qu’elle avait fait tomber le plateau du petit-déjeuner ? Bref, je me penche vers monsieur Marou pour le réveiller, car les cris de la Rose n’étaient d’aucun effet, et c’est à ce moment que j’ai cru comprendre qu’il était mort, ou en tout pas mal en point. J’ai pris la Rose par le bras, j’ai fermé la porte et je suis descendu aussitôt téléphoner à la doctoresse qui est arrivée peu de temps après.
– Est-ce que les cris de mademoiselle Alonde ont réveillé d’autres personnes, et celles-ci auraient-elles vu l’intérieur de la chambre numéro 4 ?
– Non, les deux autres clients roupillaient encore. Ma femme aussi d’ailleurs au rez-de-chaussée. Quand la doctoresse est arrivée, je suis remonté avec elle. Elle a mis des gants en caoutchouc. Elle a ausculté consciencieusement monsieur Marou, a bien regardé le cou, lui a ouvert les babines, a même parcouru de très près le reste du corps jusqu’aux pieds. Elle a constaté le décès. Quand nous sommes sortis, elle m’a demandé de fermer la chambre à clé et a interdit formellement de toucher à quoi que ce soit avant l’arrivée de la gendarmerie que je devais d’ailleurs appeler. Elle a écrit un mot, l’a glissé dans une enveloppe à votre intention et elle est partie. J’ai réveillé ma femme. J’ai téléphoné à la gendarmerie. J’ai aussi contacté le maire…
-… parce que l’affaire vous semblait importante.
– Oui, puis on a attendu en bas que vous arriviez.
– Vous savez bien raconter, monsieur Grumillon. C’est très bien. Bon, maintenant, remontons un peu dans le temps. Que s’est-il passé cette nuit ?
– Ah bon dieu, mais je ne sais pas. J’ai dormi du sommeil du bienheureux. Vous pensez, Sedan, trois – zéro, contre l’équipe de France. J’ai continué le rêve dans mon lit. Nous étions tous au stade Dugauguez en train de courir sur la pelouse parmi les joueurs de l’équipe de Sedan. On brandissait le rouge et le vert, et on chantait la victoire. Et Victorine, ma femme, elle aussi, était là, montant à cru Césarine, vous savez le sanglier, la mascotte du club.
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