20. De la crotte changée en or

 

Je n’avais bien sûr pas encore de réponse à toutes ces questions que le maire du village entra dans l’auberge.

– Ah, messieurs les gendarmes, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir avant que ce ne soit trop tard.

Je l’invitai à s’asseoir tranquillement en face de mon bloc-notes toujours vierge et de mon dictaphone toujours en train de tourner. Je lui fis signe de patienter encore dix secondes pendant lesquelles je demandai à mon gendarme, maintenant qu’il en avait le numéro, de téléphoner à l’autre brigade, celle ayant en charge le village de Marou Piepie-Vanvan et de les prier de se renseigner sur les activités professionnelles ou non de la victime, bref de perquisitionner, avec ou sans autorisation, à son domicile.

– Avant que ce ne soit trop tard, insista le maire. Je voudrais…

La porte de la cuisine s’ouvrit et Amédé Madédée pointa son nez en demandant :

– Chef, le client Crolle voudrait bien retourner quelques instants dans sa chambre pour se changer. Qu’est-ce que je fais, chef ?

– C’est bon. Le gendarme Magogneau l’accompagnera.

Roger Crolle traversa la salle et monta à l’étage suivi d’Hugo Magogneau. Les deux ne semblaient pas enchantés, l’un d’avoir à se changer devant l’autre, l’autre de voir l’un se changer. Hubert Dausse, le maire et notaire, trépignait. Empressé, il me dit :

– Je disais donc : avant qu’il ne soit trop tard ! Les journalistes sont-ils déjà venus ? Non ! Ah vous me rassurez ! Car vraiment, c’est fâcheux comme histoire ! Ce n’est pas fait pour favoriser le tourisme dans notre village. Mais je vous fais confiance pour votre discrétion.

Le maire devait avoir des problèmes de mémoire à moyen terme, car il ne semblait avoir rien retenu de l’entrevue du début de matinée. Il n’avait pas l’air de m’avoir compris. Il continua à se répéter lourdement :

– Et quand vont venir vos supérieurs pour régler au plus vite cette histoire ?

Encore une fois, je me tus. Pour lui faire comprendre qui était le chef, je repris le truc des formalités :

– Nom, prénom, qualité ?

Il me regarda étonné et balbutia :

– Quoi ? Encore ?

– Nom, prénom, qualité ?

– Dausse, Hubert, notaire et maire de Bayencourt.

– Monsieur Dausse, ne vous inquiétez pas. L’enquête est en bonne voie.

– Pauvre Bayencourt ! Pauvre maire de Bayencourt ! Et pauvre Grumillon ! Cette histoire ne va pas arranger ses problèmes.

– Lesquels ?

Hubert Dausse se rapprocha de moi, plissa les yeux et à voix basse, celle du notaire plus que celle du maire, me dit :

– Victor Grumillon a des problèmes d’argent. L’auberge ne rapporte pas assez. Il s’est endetté, mais ne sait pas comment rembourser. Je lui ai déjà donné quelques conseils, mais il ne m’écoute pas. Sa femme, elle-même, n’est pas au courant. Et pour n’alarmer personne, il fait celui qui n’a aucun problème financier. Tenez, par exemple, il offre régulièrement à sa femme les services de la petite Alonde pour faire le ménage, pour faire des extras quand il y a du monde, mais ça aussi, le monde, il se fait rare.

– Parlez-moi plutôt de votre village.

Le maire oublia soudainement les problèmes de l’aubergiste, les intérêts du notaire et la peur des journalistes. Avec un sourire en écharpe tricolore, il commença :

– Bayencourt est tout un petit village de 120 habitants. Une place et quatre rues. La place du village, c’est le cœur de Bayencourt avec l’église et la mairie qui se font face. Il y a la rue des Bois et celle des Rochers qui montent vers la forêt. Il y a la rue des Champs et celle du Lavoir qui mènent aux prés. L’activité du village est principalement agricole. Pour si petits que nous sommes, nous avons quand même une boulangerie, une charcuterie qui fait aussi épicerie, une bouquinerie, une auberge, bientôt de nouveau une école primaire. Il y a aussi un médecin et un notaire, c’est moi le notaire, mon cabinet est bien évidemment en ville, j’ai ici ma résidence principale. Oui, Bayencourt est bien achalandé, mais c’est que nous sommes, ici, un peu le centre du monde. Nous rassemblons de nombreux hameaux aux alentours, sans parler des villages malchanceux, mal administrés où il n’y a plus rien. Et puis nous avons notre attraction touristique qui s’inscrit dans la légende ardennaise des quatre fils Aymon : les quatre crottes du cheval Bayard. D’où le nom de notre village, Bayencourt. Les quatre crottes sont rue des Rochers, en face de chez moi.

– Nous revoilà, chef, interrompit Magogneau précédé de Roger Crolle tout habillé.

– Très bien. Monsieur Crolle, je vous renvoie aux bons soins de madame Grumillon. Monsieur Dausse, je vous en prie, continuez.

– Quand les fils Aymon sur le cheval Bayard arrivèrent dans les Ardennes pour la première fois, c’est ici qu’ils firent leur première pause et que Bayard brouta et crotta. Quatre gros crottins qui touchant le sol se changèrent en or ; du crottin de taille normal, mais qui pesaient plus lourd que de gros rochers. Plus tard, le magicien Maugis, qui aimait lui aussi l’or, substitua au crottin sa qualité aurifère en de la simple pierre, mais de forte dimension. Dès lors, nous avons à Bayencourt quatre gros rochers. Voulez-vous que je vous y emmène ?

Je déclinai l’offre en ajoutant :

– Je ne manquerais pas d’aller voir l’attraction touristique. Ah, une dernière chose. Où étiez-vous hier soir ?

– Au match pardi ! En tant qu’élu, j’ai pu me débrouiller pour avoir une place de choix.

– Je vous remercie, monsieur le maire.

 

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