41. Toutes, qu’on vous dit.

Je quittai la chambre de l’aubergiste ayant remarqué que la table avait été déplacée : quatre marques sur le plancher moins cirées que le reste et la table maintenant juste sous la trappe du grenier. Mes deux gendarmes descendirent dans la salle de l’auberge, emportant nonchalamment nos outils et nos relevés d’empreintes. Ils étaient déçus de n’avoir rien trouvé, mais ne s’avouaient pas vaincus puisqu’ils tâchaient d’imaginer d’autres combinaisons, de trouver d’autres coupables.

– Pas si fort, les gars, leur lançai-je.

Je restai encore un instant à l’étage et m’introduisis dans la chambre du mort. Il était toujours là. Evidemment. Mais il était temps qu’il refroidisse plus encore à la morgue. Un instant, j’imaginais le fantôme de Piepie-Vanvan ayant pris possession du lieu et faisant des farces, la nuit, aux voyageurs égarés à Bayencourt et s’étant réfugiés dans la chambre numéro 4 de l’auberge des Quatre Etoiles. Je m’approchai de sa tête et, de ma main gantée, je lui soulevai la lèvre supérieure. La fibre était toujours à sa place coincée entre deux incisives. La clé de l’énigme était là. Je m’approchai un peu plus et observai. Il m’aurait fallu une loupe. Je pus cependant déceler quelques reflets colorés renforcés par la blancheur de l’émail.

En bas, je demandai à mes gendarmes de ranger notre matériel qui traînait honteusement sur les tables.

– Dans la voiture, et à double tour !

– Oui, chef !

– Tout de suite, chef !

– Et j’autorise les occupants de la cuisine à prendre l’air sous la tonnelle. Ils pourront y prendre aussi le goûter. Sous votre surveillance, messieurs.

– Oui, chef, répéta Hugo.

– Et toi, Antoine, demanda Amédé, que vas-tu faire ?

– Je vais chez Alice Louvette.

– La doctoresse ? Je peux lui téléphoner si tu veux.

– Non, je te remercie. Ça ira.

Je sortis de l’auberge, pris de ma poche le carton qu’Alice Louvette m’avait fait remettre le matin et qui portait son adresse : la Maison Tertous, rue des Bois.

La petite place du village traversée, je rencontrai madame Bounette, née Eulalie Darnée, et madame Querton, née Eugénie Noquette en train de discuter devant leurs boutiques.

– Alors, monsieur Fabert, demanda la bouchère, où en est l’enquête ?

– Et le mort, monsieur Fabert, est-il toujours là-haut dans sa chambre ?

– À propos de monsieur Piepie-Vanvan, contrattaquai-je, vous le connaissiez un peu ?

– Piepie-Vanvan ? Vous voulez dire monsieur Marou ?

– C’est quand même bien dommage qu’il a trépassé !

– C’est vrai que ce n’est pas courant ici un homme, disons, de cette peau-là !

– Un bel homme, tout de même !

– Costaud !

– Musclé !

– Oh oui !

Que d’exclamations ! Je demandai à mots couverts si Marou Piepie-Vanvan était un coureur de jupons.

– S’il était très galant avec les dames ?

– S’il s’approchait bien près des femmes ?

– S’il leur disait des choses ?

– Si c’était un chaud lapin ?

– Eh bin oui. Mais on ne veut pas médire …

– On ne veut pas ragoter …

– Et si c’est pour faire avancer l’enquête, ajoutai-je.

– Alors là, c’est différent.

– Monsieur Marou, il se les est toutes faites dans le village.

– Toutes, de tout âge, de tout milieu.

– Toutes, qu’on vous dit.

– La petite Alonde.

– Et la Grumillon.

– La femme du maire aussi.

– Enfin toutes. Nous, vous savez, nous sommes fidèles à nos maris.

– Et d’honnêtes commerçantes !

– Et Alice Louvette ? demandai-je.

– La doctoresse ?

– Ah ça, ça nous étonnerait : elle est végétarienne et préfère les femmes. Elle et Joséphine Puchelotte habitent ensemble. C’est vous dire !

– Et puis, ce n’est pas pour médire, mais la Puchelotte est un peu sorcière.

– Oui, elle est irradiée, je crois.

– Ah bon ! Et Marguerite Versaine ? ajoutai-je.

– Elle est toute nouvelle, c’est vrai.

– Mais ce n’est pas une raison pour ne pas passer à la casserole de Marou.

– Monsieur Marou, un sacré matou qui aimait bien les chattes !

– Pauvre monsieur Marou, il va nous manquer.

Je laissai les deux commerçantes fidèles à leur complainte en les remerciant des précieuses informations et pris la rue des Bois.

La maison d’Alice Louvette s’y trouvait au bout. Une petite ferme rénovée où le cabinet médical du docteur Louvette avait été aménagé dans l’entrée de la grange, les grandes portes ayant été remplacées par une baie vitrée. Je sonnai. Ce ne fut pas Alice Louvette qui m’ouvrit, certainement Joséphine Puchelotte. Je demandai à parler au docteur Louvette. Joséphine Puchelotte se retourna :

– Loulou ? fit-elle en allant la chercher. La gendarmerie voudrait te parler.

Alice Louvette arriva aussitôt avec à la main un vieux livre qu’elle me montra : La médecine de nos grands-mères.

– C’est Jean Pirolet qui me les trouve. Je les collectionne. On y raconte parfois des conneries, mais souvent il y a du bon sens. Ce livre-là est paru dans les années 20. Comme quoi, même à cette époque, il y avait déjà une nostalgie des recettes de nos grands-mères. Qu’y a-t-il pour votre service ?

– Je suis désolé de venir troubler votre repos dominical, mais j’aurais besoin de votre aide.

– Pas de problème. De quoi s’agit-il ?

– Avez-vous un microscope ?

– Oui.

– J’aimerais que vous analysiez la fibre qui est restée coincée entre les dents de la victime. Et la comparer, si nécessaire, avec d’autres fibres que l’on pourrait trouver à l’auberge ou dans les valises de ses clients. Je voudrais connaître l’origine de cette fibre.

– Le temps de préparer le matériel et je suis à vous. Entrez un instant.

J’arrivai dans le salon. Un pan de mur était caché par des livres, certainement la collection d’ouvrages de médecine populaire. L’amie d’Alice, qui m’avait ouvert la porte, était debout sur un escabeau de bois en train de ranger les volumes.

– Alice les collectionne, mais c’est moi qui les classe et les range. J’aime bien le travail manuel.

Elle descendit et me tendit la main.

– Joséphine Puchelotte.

– Antoine Fabert.

– Pas de trop de mal à mener l’enquête parmi la faune et la flore de Bayencourt ?

– Ça va. Ce n’est pas pire qu’ailleurs. On a dit de vous que vous étiez une sorcière irradiée.

– Le coup de la sorcière, ria-t-elle de bon cœur, on me l’a déjà fait, mais celui de la sorcière irradiée, c’est nouveau. Je suis hydrologue, et comme on préfère ici les mots sourcière ou radiesthésiste, ces mots et leur sens se transforment assez facilement à la campagne.

Alice Louvette était déjà de retour tenant une petite valise à la main.

– Jojo, je n’en aurai pas pour longtemps, une heure au plus. Je suis aux Quatre Etoiles.

Nous laissâmes Jojo Puchelotte à sa manutention pour nous diriger à pied vers l’auberge.

 

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