46. C’est comme vous le dites.

Amédé sortit de l’auberge avec Victor Grumillon. Mon gendarme me dit :

– Chef, avec le gendarme Magogneau, on s’est dit qu’on pouvait…

– Je sais, je sais.

– … conduire les suspects chacun son tour, comme ça…

– Gendarme Madédée, faites asseoir monsieur Grumillon et faites de même.

– Tout de suite, chef.

Ils commençaient à m’énerver, mes assistants. Ce n’est pas avec des répétitions qu’on ferait avancer le dénouement de cette enquête.

– Monsieur Grumillon, vous rappelez-vous ce que vous m’avez dit ce matin à propos de ce qui s’est passé cette nuit ?

– Bin, non ! Je suis désolé, je ne m’en rappelle plus.

– Vous m’avez dit que vous aviez dormi du sommeil du bienheureux.

– C’est possible. Mais ça ne m’étonne pas, car Sedan avait gagné haut la main le match contre l’équipe de France.

– Etiez-vous heureux pour d’autres raisons ?

– Bin, non ! Je suis désolé, je ne vois pas.

– Etiez-vous heureux parce que l’idée de vos problèmes financiers semblait en bonne voie de se dissiper ?

– Mes problèmes financiers ? Mais qui vous a parlé de ça ? Ah, je vois ! Ah, le salaud !

– Comment ?

– Dausse, c’est une sale petite enflure ! C’est lui qui vous a dit ça, hein ? Non mais je vais aller le corriger, moi, ce notaire à la noix !

– Asseyez-vous, monsieur Grumillon. Et soyons raisonnables. On a tous un jour ou l’autre quelques petits problèmes d’argent, mais ce n’est pas une raison pour le voler, cet argent.

– Mais je n’ai rien volé, moi !

– Disons que vous l’avez mis en sécurité.

– C’est comme vous le dites. Voilà, j’ai mis les sous en sécurité.

– Sauf qu’au grenier, il y a toujours des souris, et les souris, ça bouffe tout.

– C’est vrai, mais pas une mallette métallique.

– Heureusement, d’autant plus que ça s’est passé la nuit, et que c’est pendant la nuit que les souris sont les plus actives.

– Pour sûr, entre une et deux heures du matin, elles font toujours du raffut.

– Vous pouvez être plus précis.

– Je dirais vers une heure et demie.

– Est-ce qu’une grosse souris aurait fait aussi du raffut à l’étage ?

– Ça, je ne sais pas si c’était une souris, mais ça m’a réveillé de mon rêve de foot victorieux.

– Et vous avez surpris un rat des villes quitter sa chambre.

– La chambre numéro 3, celle de monsieur Arlan pour être précis.

– Il s’est rendu dans la chambre numéro 4, celle de monsieur Marou Piepie-Vanvan.

– C’est comme vous le dites. Alors je me suis dit qu’il serait préférable de mettre l’argent en sécurité, car l’auberge n’était plus très sûre.

– Quelle histoire !

– A qui le dites-vous ! Vous vous rendez compte, monsieur l’officier de police judiciaire, ma propre auberge !

– Ah oui, c’est gênant. Et si cet argent pouvait sauver votre propre auberge d’une crise financière, ça serait une bonne chose.

– C’est comme vous le dites. Une bonne chose.

– Sauf que ce n’est pas légal, monsieur Grumillon.

– Ça aussi, c’est gênant. Mais il faut me comprendre, monsieur Fabert. C’était ça ou tout dire à ma femme. Car madame Grumillon pense dur comme fer que notre affaire, si elle n’est pas florissante, n’en est pas moins viable. Monsieur le gendarme …

– Oui.

– Promettez-moi une chose.

– Quoi ?

– De ne rien dire à ma femme.

– Pourquoi ne le ferais-je pas ?

– Parce que ça ferait de la peine à Victorine, et que c’est comme vous l’avez dit : l’argent, je l’ai mis en lieu sûr, et maintenant que vous êtes là…

– Ça fait maintenant déjà plus ou moins huit heures que je suis là.

– Eh bin, je vais aller le chercher et je vous le donne.

– Vers une heure trente vous êtes réveillé par du bruit, vous vous rendez compte qu’Arlan sort de sa chambre et qu’il se rend dans celle de Piepie-Vanvan. Vous savez qu’Arlan vient tous les ans avec une mallette métallique qu’il range à clé dans le tiroir de l’armoire de sa chambre. Vous êtes quasiment sûr qu’elle contient de l’argent. Vous avez sur vous votre trousseau de clés, même les doubles des tiroirs des meubles. Vous êtes sortir de la numéro 2 et avez pénétré dans la numéro 3. Vous avez ouvert le tiroir, pris l’argent, refermez le tiroir et vous êtes rentré dans votre chambre. Ça ne vous a pas pris deux minutes.

– Ça m’a pris une minute et vingt secondes. Je m’étais entraîné. J’espérais pouvoir sortir quand monsieur Arlan irait aux toilettes. Je l’ai guetté. Je n’ai rien compris au bruit qui est sorti de la chambre de monsieur Marou.

– Vous n’aviez rien entendu avant ?

– Si, j’avais entendu des petits rires venant de sa chambre. Ça aussi, je n’ai pas bien compris. Il faut dire que je fixais toute mon attention sur la chambre de monsieur Arlan. Quand il est sorti…

– Je sais.

– Après, j’ai déplacé la table dans ma chambre. Je suis monté dessus. J’ai ouvert la trappe. J’ai caché la mallette. J’ai tout refermé et voilà. Effectivement, après je me suis endormi et j’ai bien dormi.

– Vous allez maintenant en compagnie du gendarme Madédée chercher la mallette. Vous la couvrirez d’un linge ou la cacherez dans un sac et le gendarme me l’apportera aussitôt.

– Y a pas de souci ! Quoique … Qu’est-ce qu’il va m’arriver pour cette histoire de vol ?

– Une histoire de vol !

– Oui, mais j’ai avoué, alors j’ai les circonstances éternuantes ?

– Qui vous parle de vol ?

Là, je pouvais m’en douter : Amédé eut un sursaut. Il me jeta un regard réprobateur. Je lui souris. Il se leva pour protester, mais n’en eut pas le temps.

– Monsieur Grumillon, vous allez faire ce que je vous ai dit avec le gendarme Madédée.

– C’est vrai que personne ne parle de vol et c’est tant mieux. Cependant, vous ne direz rien à ma femme, hein ?

– A une condition.

– Tout ce que vous voudrez.

– Si vous voulez que votre auberge ne sombre pas, il ne faut pas attendre le client, mais il faut vous-même le chercher, le faire venir.

– Mais comment ?

– Avec un peu d’imagination et de la volonté.

– …

– Si vous organisez des fêtes à Bayencourt, des manifestations, ça fera venir la clientèle. Je ne sais pas, moi, par exemple, pourquoi pas un festival Bayard autour de ses quatre rochers avec les crottines de Bounette.

– Ou une fête du sanglier avec les hures farcies de Querton.

– Par exemple. Vous voyez, avec un peu d’imagination…

Je pus clore la conversation sur ce mot d’ouverture, envoyai Grumillon ébloui et Madédée perplexe à l’auberge en ajoutant à l’intention de ce dernier de me ramener la mallette et l’esclavagiste parisien.

– Qui ?

– Eh bien, l’esclavagiste, celui qui fait travailler des nègres.

– Enfin, Antoine ! On t’avait dit de ne pas parler comme ça.

Puis ajoutant à voix basse pour ne pas se faire entendre de l’aubergiste :

– Ce n’est pas très correct, ni administratif en présence d’un suspect.

Le suspect était un coupable dont j’avais absous la faute.

– Il me faut maintenant Arlan. C’est compris, gendarme Madédée ?

– Oui, chef. Tout de suite, chef.

– Monsieur Grumillon ?

– Oui, monsieur Fabert.

– Vous attendrez ensuite dans la salle à manger. Pas un mot à quiconque de notre conversation. Et d’ailleurs pour vous faire penser à autre chose, je vous impose un devoir de réflexion et d’imagination : « Comment attirer la clientèle aux Quatre Etoiles. »

– Merci beaucoup, monsieur Fabert.

 

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