Voici la confession de Majésu Monroe, brocanteur ardennais spécialisé dans les raretés ayant appartenu à des célébrités. Sa vie bascule quand il rencontre Noème Parker, et va basculer d’autant plus que l’un bâtit son amour sur le mensonge (avoir trucidé un notable pour Majésu) et l’autre sur la haine (celle du patronat dont Noème est issue). Autant vous dire que le mensonge n’amène que des complications et que la haine n’aboutit jamais à une vie sereine. Mais, au moins, cela procure du ressort à la narration.

Et du ressort, il y en a dans ce roman de Franz Bartelt, paru en 2013 chez Gallimard (disponible en format poche). Le lecteur est entraîné sur des montagnes russes, avec des accélérations inattendues, des virages étourdissants : du roman social parodique, on passe au roman sentimental cocasse, puis au roman noir, tout d’un coup on se retrouve dans le vaudeville, on revient au polar avec un inspecteur obséquieux et ripou, et on continue sur un thriller à la bonne franquette, avec parfois du slapstick et du Grand Guignol. Ça, c’est sûr, le lecteur ne s’ennuie pas, et en plus, il rigole tout le temps.Parmi les pépites du roman, il faut mentionner la marchandise que Majésu Monroe propose aux chalands. Le brocanteur explique : « Moi, je ne commercialise que de l’objet à caractère historique. La tétine de Richelieu, la cendre du Phénix, une carte d’identité totalement effacée et dont les experts pensent qu’elle pourrait être celle du soldat inconnu. Vous voyez ? À chaque fois que je trouve un objet, il me faut reconstituer son histoire, retrouver ses origines, découvrir des attestations qui le rendront digne de l’intérêt des collectionneurs. » Ce brocanteur a l’âme d’un conteur, d’un écrivain en fait. Tout au long du roman, ce sont des objets hors du commun qui sont exposés à notre lecture : « la balle qui tua Mata Hari, présentée dans un cœur en cristal de Bohême et garantie par une lettre manuscrite du fils caché de la fameuse espionne », l’abeille naturalisée qui posa « pour les peintres et les artistes de la période napoléonienne », l’os du coude droit de Victor Hugo, « celui qu’il appuyait sur sa table de travail quand il se faisait photographier en se tenant la tête dans la main », et encore de nombreux autres objets improbables présentés sur l’étal par Bartelt. Et spécialement pour les lecteurs ardennais : « une Sainte Vierge qui fumait la pipe, hommage d’un curé à Notre-Dame du tabac de la Semois. Bel objet en matière plastique de qualité et qu’animait un astucieux mécanisme à produire de la fumée. » Franz Bartelt devrait réunir ce bric-à-brac haut en couleur dans un petit ouvrage – de la vraie poésie – et augmenter cet inventaire pour le plaisir du lecteur. Vous l’aurez compris, le fémur d’Arthur Rimbaud fait partie de la collection.Maintenant, pour la chronique de la Cacasse littéraire, la grande question : Est-ce un roman ardennais ? Paradoxalement, je dirais qu’il l’est d’autant plus qu’il ne parle pratiquement pas des Ardennes ! Dès les premières pages, il est question de Larcheville, bien connue des Carolomacériens et du reste des Ardennes, avec quelques ancrages plus directs comme le café des Arcades (place Ducale), une brocante à Blagny, ou une héroïne « très vêtue à l’ardennaise ». Le lecteur ardennais aura reconnu son chez-lui, même si celui-ci est discret, et alors tout le reste de l’histoire sera évidemment ardennais. Sans chercher à être de bonne foi, on pourrait dire qu’avec cette dilution des ancrages ardennais, ça tourne à l’universel. Sur le spectre des lettres ardennaises, nous sommes ici à l’opposé des textes du terroir qui parfois peuvent avoir du mal à tenir debout sans les références régionales. Pourtant, la Cacasse littéraire range d’autorité Le fémur de Rimbaud dans sa bibliothèque ardennaise. Vous devriez en faire autant, si ce n’est déjà le cas, après l’avoir lu, bien évidemment.

 

Vous pouvez trouver le Fémur de Rimbaud (en papier et non en os) pour pas cher (incroyable pour une telle rareté rimbaldienne) en cliquant sur l’image suivante :

Lisez ou relisez la chronique de la Cacasse littéraire consacrée à un autre roman de Franz Bartelt : Hôtel du grand cerf

Rendez-vous avec Franz Bartelt, à l’Hôtel du Grand Cerf