24. Ah si j’avais su…
Je suivais l’ellipse que j’avais entamée de l’auberge à la boucherie en passant par la boulangerie et qui allait m’emporter hors de la place du village, quand une voix m’appela :
– Monsieur le gendarme ! Monsieur le gendarme !
C’était Eulalie Bounette, la boulangère, qui accourait vers moi.
– Monsieur le gendarme ! À propos de l’affaire de l’auberge…
– Mais au fait, remarquai-je, qui vous a dit qu’il y avait une affaire, comme vous dites, à l’auberge ?
– Qui ? Je ne sais pas. Enfin, monsieur le gendarme, faudrait pas nous prendre pour des naïves ! Il y a quand même une voiture de la gendarmerie qui stationne depuis ce matin devant l’auberge, trois gendarmes qui ne sont pas sortis des Quatre Étoiles, hormis vous à l’instant pour ainsi dire, la doctoresse qui est venue deux fois, le maire qui y a fait des allers-retours, et votre visite pour nous poser des questions. Enfin, monsieur le gendarme, s’il ne s’agit pas d’une affaire, ça, alors je me demande ce que ça veut dire le mot affaire… C’est un crime, n’est-ce pas ?
– Qui vous a parlé de crime ?
– Mais c’est la femme du notaire, du maire si vous voulez, qui a parlé de crime quand elle est venue acheter son pain. C’est le client noir, la victime, n’est-ce pas ?
– Que vouliez-vous me dire à propos de l’affaire ?
– Bin voilà. Hier, la victime est venue m’acheter une douzaine de crottines. Ah si j’avais su…
– Si vous aviez su quoi ?
– Je ne sais pas… Mais enfin ! La victime était une fine bouche. Tous les ans, il venait m’acheter nos crottines, et il était incroyable. Figurez-vous qu’il pouvait dire à cinq minutes près quand les crottines avaient été sorties du four. Une fois mon mari – mais il ne faudra pas le répéter – n’avait plus de beurre, et il avait utilisé de la margarine pour la pâte à crottines, et bien, je vous le donne dans le mille, la victime nous en a fait la remarque.
– C’est ce que vous vouliez me dire à propos de l’affaire ?
– Non, hier la victime a été importunée par un autre monsieur. Je les ai vus arriver sur la place, la victime devant et l’autre monsieur derrière qui suivait et qui disait des choses.
– Que disait-il ?
– Ça, je ne sais pas. Quand la victime est entrée à la boulangerie pour acheter sa douzaine de crottines, l’autre est entré, et la victime lui a dit : « Oh, maintenant, ça suffit, laissez-moi tranquille. »
– À quoi ressemblait l’autre monsieur ?
– Pas très grand, des cheveux noirs bouclés dans le genre impossible à coiffer.
– Vous connaissez ce monsieur ?
– Non, mais il loge aussi à l’auberge des Quatre Étoiles en ce moment.
Je remerciai madame Bounette, la renvoyai derrière sa caisse à ses crottines, et poursuivis ma promenade par la rue des Champs.
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