25. Vous pouvez m’appeler Marguerite

 

Bayencourt est un assez beau village. À sa périphérie, il y a bien quelques nouvelles constructions, mais qui respectent le style des vieilles maisons. Une exception par les temps qui courent.

J’avais atteint la limite du village et une dernière ferme retint mon attention. Il y avait dans un grand pré une cinquantaine de volatiles au plumage roux, des dindes, et une fermière, elle aussi rousse, qui leur jetait du grain. Certainement la Margot, Marguerite Versaine, la productrice de dindes rouges.

– Bonjour madame.

L’uniforme de gendarme m’évite parfois à avoir à sortir un attirail verbal pompeux et ennuyeux. En nous voyant, ou les gens s’enfuient, ou ils viennent à nous. La fermière arrêta de nourrir ses oiseaux et vint directement vers moi. Les dindes la suivaient en glougloutant.

– Prenez par votre gauche, et attendez-moi devant la maison, me dit-elle. On pourra discuter sans être gêné par les dindes.

Je pris par la gauche et je n’eus pas à attendre. Elle arriva en me tendant la main, et avec un grand sourire se présenta :

– Je suis Marguerite Versaine. Bonjour. Je suppose que vous venez pour l’affaire de l’auberge des Quatre Étoiles.

– Euh… oui. Bonjour. Antoine Fabert, officier de police judiciaire.

– Oh, ne vous effrayez pas. Ici, tout se sait très vite. Asseyez-vous, je vous en prie.

Elle m’indiquait un banc adossé à la façade de sa maison. Elle prit une chaise qui attendait comme un chien son maître à côté de la porte, et reprit la parole.

– Donc, vous voulez savoir qui je suis exactement, pourquoi je suis allée hier soir à l’auberge et ce que j’y ai vu ?

Ça, c’est une femme énergique et directe, tout à la fois sympathique, et pas méchante.

– Bon, je m’appelle Marguerite Versaine, j’ai trente-six ans, j’habite à Bayencourt depuis un an. Ma réputation, qui ici est encore à faire, est en net progrès. Les gens du village se méfient des nouveaux, et plus encore des nouvelles qui, quand elles sont célibataires et venant de la ville, osent prendre une activité rurale. Dans mon cas, l’élevage de la dinde rouge des Ardennes. En fait, ils ont du mal à comprendre le retour à la terre. Dans leur tête, ils en sont restés à la mentalité de l’exode rural.

– À quelle heure êtes-vous passée à l’auberge ?

– Je ne pourrais pas vous le dire exactement, vu que je vis sans montre. Encore un truc qui les énerve. Mais c’était dans la soirée. Il y avait du foot à la télévision. Je venais voir madame Grumillon pour savoir si ma dinde rouge qu’elle avait servie à ses clients avait été bonne, et aussi pour leur faire goûter une terrine de dinde rouge à la bière, un tout nouveau truc que je viens de mettre au point.

– Est-ce que vous avez remarqué quelque chose de particulier dans la salle de l’auberge ?

– Monsieur Querton, le boucher, avait clairement l’air jaloux que je marche sur ses plates-bandes charcutières avec ma terrine à la bière. Les autres téléspectateurs, l’aubergiste et le boulanger, eux, n’ont pas fait la fine bouche. Madame Grumillon m’a félicité autant pour la dinde qu’elle avait rôtie au miel et au beurre, que pour la terrine. Je suis allée faire goûter ma terrine aux clients de l’auberge. Il n’y en avait que trois. Le premier était seul, ne regardait pas la télévision, mais les deux autres clients à une table plus loin. C’est comme s’il les observait. Il a décliné mon offre. Je suis passé à la table des deux autres clients avec mon plateau. Le plus vieux d’entre eux m’a regardée comme une intruse et a eu un geste bizarre.

– Lequel ?

– Il a posé brusquement sa main sur une pile de feuille, format A4. Comme si j’étais venu lui prendre le document. En revanche, la personne en face de lui, un afro, a fait honneur à ma terrine et m’a félicitée. À ma grande surprise, il a su me dire que j’avais utilisé de la bière ambrée pour ma terrine, ce qui est vrai.

– Vous ne connaissiez pas ces clients ?

– Non, pas du tout. Il paraît que le vieux et l’afro viennent tous les ans à la même époque passer une nuit à l’auberge, mais vous savez, je ne suis installée à Bayencourt que depuis un an.

– Vous connaissez Rose Alonde ?

– Oui, elle vient m’aider à plumer les dindes. Une fille très sympa. On rigole bien. Elle est du village, mais n’en a pas la mentalité. On s’entend bien toutes les deux.

– Je vous remercie, madame Versaine.

– Oh, vous pouvez m’appeler Marguerite.

 

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